Benoit Crevits, bibliothécaire à la Médiathèque du Grand-Angoulême
Vous avez la double casquette de discothécaire et de rédacteur chez POPnews, un webzine dédié à la pop musique ? Quand et comment avez-vous débuté cette activité de chroniqueur ?
La lecture de la presse musicale a toujours été importante pour moi. Dès l’âge de douze, treize ans, j’ai dévoré la presse spécialisée : Rock & Folk en particulier mais, mes premiers souvenirs remontent à la revue TOP50… J’adorais comparer d’une semaine sur l’autre l’évolution du classement en me demandant qui allait détrôner l’inamovible Licence IV. Je me suis ensuite plongé dans la discothèque de mes parents avec un faible pour les Beatles plutôt que les Stones…
J’ai eu ensuite un parcours très classique avec une grande découverte : l’émission de Bernard Lenoir sur France Inter. Mon écoute était obsessionnelle, monacale. J’enregistrais tout et prêtait mes k7 à mes proches. C’est aussi une époque où je pillais les bacs des discothèques municipales.
Un peu plus tard, j’ai été très impressionné par la qualité des papiers fleuves d’ Emmanuel Tellier ou de Richard Robert des Inrockuptibles. J’ai commencé à réagir à plusieurs articles dans la rubrique Ping Pong des lecteurs. J’aimais y publier des billets assez virulents pour y voir les réactions la semaine suivante. Il y a eu aussi la découverte des textes de Francis Marmande publiés dans le Monde qui m’ont assez marqué notamment pour leur détachement et leur largeur de vue. Bizarrement, j’ai commencé à écrire régulièrement sur le tard. Peut-être parce que j’estimais que je n’étais pas prêt, que j’avais encore des lacunes sur l’histoire de la musique et plus particulièrement sur la culture Rock. Sauter le pas a été un peu difficile. Le choix de POPnews est assez simple. C’est le webzine que je consultais le plus pour la qualité de ses chroniques, pour son ton et pour ses découvertes. Après quelques chroniques de disques, j’ai intégré l’équipe de rédaction en 2007.
Discothécaire, chroniqueur, y-a-t-il une corrélation entre vos deux activités ?
C’est certain. Dans nos activités, on a pas toujours l’occasion de s’arrêter sur une œuvre, de la disséquer, de la situer dans une discographie, dans un contexte, d’en comprendre la démarche artistique. POPnews me permet cela. C’est aussi un bon moyen de connaître au plus prêt, le monde de l’industrie musicale. Une corrélation aussi parce que je pense qu’un bon discothécaire doit pouvoir donner un minimum d’information sur un disque ou un courant, rebondir, jouer avec la sérenpidité. Je me rappelle voir repartir un lecteur avec un CD de Noël Akchoté alors qu’il cherchait un disque de Kylie Minogue ou encore un usager repartir avec une cantate de Bach alors qu’il était venu emprunter un disque de Procol Harum…
Ce projet a-t-il été accompagné d’une démarche de médiation et de communication à destination du public (flyers, affiche, table de nouveautés, etc.) et fait-il l’objet d’une reconnaissance de la part des décideurs (élus, responsables administratifs, hiérarchie) ?
Je ne tiens pas forcément à mélanger ces deux activités. Néanmoins à l’occasion d’articles pour notre portail, il m’est arrivé d’interviewer des artistes dont j’avais les contacts grâce à POPnews. Au niveau des acteurs locaux, j’essaie de mettre en valeur les choses qui me paraissent intéressantes sur le site de POPnews : La Coconut Party de Saintes, Le Grand Souk de Ribérac, Les Francofolies de la Rochelle dont nous sommes partenaires. J’essaie aussi d’organiser quelques concerts sur Angoulême. POPnews c’est avant tout des rencontres et sur ce point ça m’a permis de mieux connaître l’environnement local.
Utilisez-vous les médias sociaux (twitter, Facebook, etc.) pour disséminer, pour mieux faire connaître cette activité ? Pourquoi ?
Facebook a un énorme impact sur la visibilité et la consultation de nos contenus. C’est devenu un automatisme pour nous. Chaque publication bénéficie d’une publication sur Facebook. En plus du Facebook de POPnews, chaque chroniqueur relaie les infos de son coté. Nous avons aussi un compte Twitter qui nous sert plus à commenter des concerts par exemple.
Quelle est votre méthode pour écrire une chronique discographique ? Quelles sont les contraintes formelles, stylistiques, ou autres à respecter ?
C’est un travail de longue haleine. Ca démarre en général par un coup de cœur. On est pas là pour casser un artiste même si parfois la déception est tellement grande qu’on ne peut s’empêcher de réagir. Pour moi, la chronique d’un disque passe par une écoute de toute la discographie de l’artiste. C’est long mais c’est indispensable si l’on veut comprendre la démarche de l’artiste. Sur le disque en lui même, je privilégie une écoute au casque. Ca m’arrive d’écouter un disque dix fois avant de commencer la chronique comme je peux m’y mettre dès les premières notes. Chez POPnews, on a la chance d’être assez libre. On aime aller au bout des choses, faire des papiers « fleuves ». Par exemple, dernièrement on a réalisé des interviews de Bertrand Burgalat et de Dominique A très développées qu’on ne voit pas forcément dans d’autres médias. Ce qu’on refuse c’est de faire des copiés / collés des dossiers de presse comme on en voit trop souvent jusqu’à se demander si certains ont écouté le disque…
Quels conseils ou recommandations formuleriez-vous à des collègues qui voudraient se lancer dans la rédaction de chroniques musicales ?
Nous sommes justement à la recherche de nouvelles plumes. Les discothécaires sont les bienvenus. Il suffit de nous contacter ICI. Participer à l’aventure d’un Webzine est un investissement en temps mais les satisfactions sont nombreuses…
Le chroniqueur passe beaucoup de temps à son bureau à écrire, à glaner des infos, rentrer des dates de concerts, rentrer de nouveaux disques, écouter les nouveautés envoyés par les chargés de promo qui sont parfois très insistants, préparer ses interviews, organiser des concours. Un webzine c’est aussi une équipe où chacun, en fonction de ses compétences et de ses goûts personnels, peut trouver sa place et devenir un référent sur tel ou tel domaine. Il y a des correcteurs, des coachs pour les petits nouveaux, des référents labels. Bref, nous sommes tous bénévoles mais l’organisation est à l’image d’une petite entreprise. Participer à un webzine, c’est aussi le moyen de rencontrer des artistes qu’on aime et rien que pour ça c’est assez génial.
Avez-vous des projets pour développer ou faire évoluer cette activité ?
POPnews est sur la toile depuis 15 ans. Nous avons un public de connaisseurs qui attend un certaine qualité de contenu. Nous proposons de plus en plus de vidéo. Grâce à un partenariat avec Citazine nous diffusons des interview ainsi que des captations acoustiques. Dernièrement, nous mettons sous les chroniques un petit widget Spotify. C’est toujours pratique de pouvoir se faire une idée du disque directement sur le site de POPnews plutôt que d’aller sur une plateforme d’écoute. Faciliter l’accès, donner l’information le plus rapidement possible, c’est fidéliser nos lecteurs. Je pense d’ailleurs que ces petits outils ne sont peut-être pas assez utilisés en bibliothèques… L’un des autres objectifs de POPnews est de rayonner plus amplement en région. Le gros du bataillon de l’équipe habite Paris. Inévitablement cela se ressent un peu au niveau des concours organisés, des live-report. Il y a néanmoins une belle activité sur la région bordelaise grâce au travail de quelques collègues. Nous avons aussi des chroniqueurs à l’étranger qui défrichent l’actualité de la pop. Même si notre site n’est pas parfait, nous avons depuis un an une nouvelle version beaucoup plus intuitive, plus agréable, connectée aux réseaux sociaux. Nous sommes donc effectivement toujours dans une politique de mise en valeur de nos contenus qui commence à devenir avec près de 6000 articles et interview, une véritable base de données. Nous sommes aussi très satisfaits de voir certains de nos textes repris dans les OPAC de certaines médiathèques comme La médiathèque de la Communauté française de Belgique ou encore d’Erstein.
D’une manière générale, comment concevez-vous la médiation des collections de musique enregistrée dans une médiathèque ?
Actuellement nous travaillons à constituer les collections. L’ouverture de la Médiathèque du Grand-Angoulême est prévue en 2014, ça nous laisse encore un peu de temps pour réfléchir à l’offre de service. Pour ma part, je pense que tout est médiation. De la façon de présenter les collections, d’accueillir le public, de susciter la curiosité. Face au changement des pratiques, je pense que l’humain, autrement dit le conseil, le partage, l’écoute de musique live dont certains sont privés est à prendre en compte. L’usage de la musique a sûrement été dépréciée depuis que je suis bibliothécaire (10 ans déjà…). C’est un constat, la musique ne sert parfois qu’à combler un vide. Face à cela, sans jugement de valeur, on doit s’adapter. Il y a néanmoins des signaux plutôt positifs avec la montée des pratiques amateurs ou la fréquentation des manifestations musicales. Il y a dix ans, le simple fait de présenter une collection satisfaisait l’usager. Aujourd’hui, moi le premier, je trouve l’accumulation de CD terriblement ennuyeux…
Quels webzines, blogs pourriez-vous nous conseiller ?
En vrac, Chroniques Electroniques pour la sobriété de ses pages, le blog de Joseph Ghosn pour ses découvertes, l’émission radio Morning Becomes Ecclectic pour le live, Chanson Boum pour mon intérêt pour la chanson et aussi pour le rentre-dedans d’Hélène Hazera. A la recherche des sons perdus pour les pépites rap qu’on peut y trouver. Il m’a bien servi pour les acquisitions. Il y a aussi Undomondo qui m’a permis de faire de belles découvertes. J’aime aussi beaucoup le webzine Pinkushion pour sa grande liberté d’écriture.
Quels sont vos goûts musicaux ? Quels disques écoutez-vous actuellement ?
J’aime vraiment beaucoup de choses. Je suis très bon public. Il ne m’en faut pas beaucoup pour m’émoustiller devant la énième révélation de l’année… J’écoute vraiment toute sorte de musique même si j’en reviens toujours à la chanson française. Rien de bien original, Ferré et Brassens que j’ai découvert assez jeune, Brel, Barbara et Ferrat un peu plus tard. Il faut dire que lorsque j’ai commencé le métier de discothécaire, j’ai été formé à bonne école : j’ai travaillé avec Hervé Duret à la Bibliothèque d’Étude et d’Information de Cergy-Pontoise qui est un véritable passionné de la chanson, puis avec Sophie Cornière qu’on ne présente plus. Sophie, par contre, râlait lorsque je mettais Brassens dans la discothèque… Pour ce qui est de ma platine on y trouve actuellement le très maquetté mais néanmoins très poétique L’amour, l’argent, le vent de Barbara Carlotti, un disque de Galina Ustvolskaya sur le conseil d’un conservateur d’avant garde, Soltero avec 1943 pour son petit coté lo-fi sorti sur l’excellent label Microcultures ainsi que Personnal Journals du trop méconnu Sage Francis.
Liens POPnews : http://www.popnews.com/
Lien vers mes chroniques : http://www.popnews.com/redacteurs/benoit-crevits
Lien du portail du réseau des Bibliothèques du Grand-Angoulême : http://www.fileasweb.fr/
1 commentaire(s) sur “Benoit Crevits, discothécaire et rédacteur chez Popnews : entretien avec un Hybride #6”