Quand la musique s’expose : les dispositifs de médiation du patrimoine musical – retour sur la table ronde des #rnbm2017

  • Par administrateur
  • 30 mars 2017
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Table ronde « Quand la musique s’expose : les dispositifs de médiation du patrimoine musical » – Mardi 14 mars 2017, à Nice, dans le cadre des Rencontres Nationales des Bibliothécaires Musicaux.
Avec la participation de Mathias Auclair, Directeur du département de la Musique, Bibliothèque Nationale de France, Patrick Hernebring, Responsable du fonds musical ancien à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine de Toulouse, Marc Touché, Sociologue CNRS. Créateur des collections « musiques electroamplifiées » au MNATP Paris/MuCEM Marseille. Chargé de mission, conseiller scientifique au Mupop (Musée des musiques populaires de Montluçon)
Modération : Marc Crozet, directeur de la Médiathèque Musicale de Paris

(photo : Arsène Ott)

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Bibliothèque de Toulouse : 4 expériences de médiation autour de collections musicales patrimoniales, par Patrick Hernebring

Bibliothèque de Toulouse

Patrick Hernebring (pdf)

Diapositive 1 : Introduction

► Bonjour, je suis Patrick Hernebring, responsable du fonds musical ancien de la Bibliothèque d’étude et du patrimoine de Toulouse dont vous verrez passer rapidement quelques-uns des trésors au cours de cette présentation. Ces très riches collections ont malgré tout le tort d’être constituées avant tout de partitions, soit la partie la plus tristement matérielle de la musique, amputée du mouvement et du sentiment, ésotérique pour la plupart d’entre nous, parfois même, chargée de mauvais souvenirs… Des documents, quoi qu’il en soit, pour lesquels le besoin de médiation est certainement très fort.

► Je vais évoquer ici quatre expériences de médiation qui ne font pas appel à des dispositifs sophistiqués de médiation, plutôt de simples mises en situation, où ces drôles de livres que sont les partitions sont sortis de nos réserves pour, je l’espère, trouver une connivence avec notre public.

Diapositive 2 : La Fabrique de la musique

Le déroulement
► La Fabrique de la musique, première de ces actions de médiation, est un dispositif assez léger où sont proposées deux séances de présentation de 90 minutes environ destinées à de petits groupes de scolaires ou d’adultes. Une de ces séances se déroule à la Médiathèque José Cabanis, tête de pont des structures de la lecture publique à Toulouse, durant laquelle il est question de musiques actuelles. Une autre a lieu à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine, où sont évoquées les musiques « plus anciennes », du Moyen-âge au premier XXe siècle, correspondant peu ou prou à la couverture de nos collections. Le public (une quinzaine de personnes au plus) est reçu dans une petite salle et se trouve donc très proche d’ouvrages parfois précieux, sans la distance d’une vitrine. Cette proximité, très efficace du point de vue de la médiation, est hélas rarement possible à mettre en œuvre.

Photo 1 : Médiathèque José Cabanis/Bibliothèque du patrimoine

Les centons et les samples
► L’idée de départ, pour essayer de bâtir ces deux interventions en leur donnant une direction commune, était de s’appuyer sur une certaine similarité entre l’usage des centons dans la musique du Moyen-âge (les centons sont donc ces formules mélodiques-types, ces timbres, puisés dans un répertoire commun et connu de tous les chantres d’alors, qui étaient employés, assemblés, réassemblés, collés, contractés, développés pour créer de nouveaux morceaux) et l’emploi des samples (échantillons, extraits sonores) dans les musiques actuelles.

Photo 2 : DAW/Neumes

► A la Médiathèque, nos collègues Mathieu Ferraro et Thierry Moreira, eux-mêmes musiciens, proposent un diaporama participatif assorti d’un blind test pour identifier ces samples, et surtout, invitent le public de l’intervention à « mettre la main à la pâte » avec la démonstration en direct d’un sampler et de quelques autres outils de M.A.O. (Musique Assistée par Ordinateur). Cet intitulé de « Fabrique de la musique » est ainsi pris à la lettre et le discours se situe résolument du coté du faire, voire du faire soi-même.

La Fabrique côté patrimoine
► A la Bibliothèque du patrimoine, nous essayons de filer cette ressemblance centons/samples (sans en méconnaître les limites) et d’élargir ce thème à la notion d’emprunts, d’assemblage de fragments comme principe constructif pour les musiques médiévales et ultérieures. Nous nous sommes aussi et avant tout attachés à conserver un petit « quelque chose » de l’esprit de la présentation de nos collègues pour approcher les documents patrimoniaux.

Photo 3 : Télémaque, tragédie en musique composée par Campra à partir d’extraits (Charpentier, Colasse, Marais…)

► En pratique, cette analogie s’est révélée assez féconde. Sans doute parce qu’elle s’applique assez justement aux répertoires concernés et que nous pouvons présenter au public de magnifiques missels, tropaires, antiphonaires ou partitions baroques tout en pistant ces fameux centons et emprunts, mais aussi, parce qu’il est apparu un lien de médiation intéressant, un peu inattendu pour tout dire, dans le fait que ces objets livres, ces partitions ou ces ouvrages de musiques, dans leur matière, dans leur forme, renforçaient avec beaucoup d’efficacité notre discours.

Les documents médiateurs
► Je m’explique en images. Vous verrez sur les photographies suivantes des partitions composées de morceaux épars trouvés dans des défets de reliure, des ais, des gardes, ou autres réemplois. Vous y verrez aussi des partitions assorties de parties collées ou cousues, des esquisses parsemées de ratures rageuses, de repentirs ou corrections diverses.

Photo 4 : Neumes aquitains sur les gardes des Sermons de la Bertrand de la Tour
Photo 5 : Neumes aquitains dans la reliure de l’incunable Speculum naturale
Photo 6 : Neumes aquitains dans la reliure des Sermons de Vincent Ferrier, imprimé au début du XVIe
Photo 7 : Messe de Toulouse transcrite sur les folios vierges d’un missel
Photo 8 : Collettes dans lr Jephté, opéra biblique de Michel Pignolet de Montéclair
Photo 9 : Ratures sur la Berceuse opus 16 de Fauré, manuscrit holographe
Photo 10 : Corrections sur le Cœur du Moulin de Déodat de Séverac, manuscrit holographe

Les axes de médiation
► Nous avons donc joué de cette petite scénographie inattendue offerte par les livres eux-mêmes et mis l’accent sur ces « partitions médiatrices » donnant à voir de façon très éloquente le magma de la matière, mobile, collée, défaite, dispersée, recomposée, de la musique comme du parchemin ou du papier, et nous sommes laissés porter par ce jeu d’analogies (procédé de composition musical / matériaux du livre et codicologie.)

Photo 11 : Glose musicale de Delvaux sur une partition de Nicolas-Antoine Lebègue

► Ce thème et point de départ – l’idée du fragment, du sample – est donc devenu un petit artifice de médiation qui nous a aidé à :
– établir une connivence particulière avec le public en s’appuyant sur « ce qui se touche » pour évoquer cet art immatériel et volatile entre tous (une des difficultés à affronter dans le discours sur la musique, il me semble) ;
– insister sur l’aspect mobile et subsidiaire de l’écrit en musique à ces époques où la mise en dialogue de la tradition écrite et de la tradition orale est la règle. Cette relation très libre au noté peut sans doute contribuer à éteindre l’aspect intimidant du patrimoine écrit, à le rendre plus proche, plus familier et à donner un petit souffle vie à ce support assez austère qu’est la partition.

Diapositive 3 : Les Music’Haltes

Cette fois-ci, ce ne sont plus les livres qui font office de médiateurs, mais le concert et les musiciens.

La formule
► Nous proposons en effet à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine une programmation régulière de concerts. Ces Music’haltes, puisque c’est le nom retenu pour la formule, sont des spectacles d’une heure au plus, organisés chaque mois à la pause méridienne, à un moment où la musique entre par effraction, de façon impromptue au cœur de la journée et où les sens ne sont pas encore émoussés par la fatigue et les bruits de la journée.
La régie technique reste assez légère. Par ailleurs, la disposition de la salle de lecture étant fixe (les tables sont câblées et les étagères lourdes), les spectateurs et musiciens prennent place comme ils le peuvent, avec un esprit achoppant au spectacle de rue ou au théâtre de tréteaux.

Photo 1 : La salle de lecture et l’ambiance des concerts (mosaïque)

► La programmation se veut éclectique (jazz, world, classique, musiques aventureuses, danse, spectacle circassien…) et cherche son équilibre autour de musiques fondées sur la « substance » plutôt que sur l’énergie ou le son. Elle bénéficie aussi et surtout de ce vivier inépuisable d’artistes de grand talent de la région toulousaine, complété quelque fois par les heureuses opportunités offertes par des artistes de passage souhaitant abonder le budget d’une tournée.

Photo 2 : La programmation (mosaïque)

Les partitions et le concert
►Si certains de ces concerts sont de simples concerts, pour le simple et seul plaisir du concert, d’autres entretiennent un lien plus étroit avec nos collections puisque les musiciens y interprètent une partition choisie dans le fonds musical ancien. Parfois même, comme dans le cas de ces Sonates de Baptista actuellement à l’écran, les artistes invités se livrent à un véritable travail de création (ou de recréation) au cours duquel sont exhumées des œuvres qui vraisemblablement n’ont pas sonné depuis deux ou trois siècles.

Photo 3 : Les Sonates del signor Baptista

Le travail des musiciens
►Plutôt que d’oblitérer ce travail de coulisse, comme souvent dans les concerts – magie du spectacle oblige ! – nous avons peu à peu accentué la médiation sur ce troisième objet « exposé » entre la partition et le concert, qui est le scénario de sa renaissance. En marquant ce travail important et exceptionnel effectué par des musiciens, souvent habitués à des scènes plus prestigieuses et des cachets plus substantiels, il ne s’agissait pas seulement de manifester notre sincère reconnaissance, mais aussi de répondre à une attente du public. Face à ces musiques méconnues ou inédites, nous ne sommes pas dans le « grand répertoire », il y a sans doute une attention à préparer, une théâtralité à installer, un écrin à construire et surtout beaucoup de demande d’informations. Nous avons aussi remarqué que le fait de détailler les étapes du travail de réhabilitation musicale (souvent mal connu et pas justement évalué), sur le mode du story-telling, ficelle de médiation très efficace, permettait de rapprocher la partition patrimoniale du contexte de spectacle vivant, avec ces émotions et applaudissements, plutôt que livrée à elle-même, à l’écart, sottement inerte, empruntée, engoncée dans sa vitrine.

Photo 4 : Gilles Colliard, le violoniste du jour

► Qui était donc cet obscur et si talentueux signor Baptista ? Quel est donc ce mystérieux procédé de la scordatura (violon désaccordé) qui connut une vogue plutôt éphémère dans l’histoire de la musique ? Comment déchiffrer ces partitions musardant entre tablature et notation des hauteurs où ce qui est noté n’est pas ce qui est entendu (les notes transcrites correspondent à celles qui sonneraient si le violon n’était pas désaccordé) ? Comment restituer ces partions « incomplètes » où ne sont transcrites que la partie de violon et la basse (sans chiffrage) ? Comment réécrire les parties intermédiaires, l’harmonie et les contre-chants absents de cette partition ? Autant de questions qui sont un point d’appui pour établir un dialogue de qualité et tisser un lien avec nos lecteurs-spectateurs, lien d’autant plus riche que les interprètes y prennent part.

Photo 5 : Sam Crowther, directeur artistique de l’Ensemble Nemea

►Cependant, le déroulé assez serré de ces concerts n’offre qu’un espace de médiation plutôt ténu (brève présentation du concert par un musicologue, échanges avec les interprètes, une mini-expo commentée à la volée, au sein de l’essaim bourdonnant de l’après concert…)

Diapositive 4 : Le Triomphe des Arts

Nous retrouvons tout que je dont je viens de parler dans cette troisième expérience, sans doute mieux illustré, avec un peu plus d’ampleur, plus de continuité à la faveur d’un partenariat marqué par l’énergie débordante et le dynamisme de l’Ensemble baroque de Toulouse.

Le manuscrit de Dupuy
► Nous conservons dans nos collections le manuscrit d’un Triomphe des arts, seule version connue d’un opéra-ballet de Bernard-Aymable Dupuy écrit sur un livret préexistant d’Antoine Houdar de la Motte déjà mis en musique par Michel de La Barre. Cette œuvre représentée pour la première fois à Toulouse en 1733 est un exemple plutôt isolé de création lyrique en province à une époque lourdement marquée par des privilèges très restrictifs sur la représentation des opéras.

Photo 1 : Le manuscrit du Triomphe des arts

► Si Toulouse a bénéficié à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle du passage de musiciens phares au poste de maître de musique de la cathédrale Saint-Étienne, notamment André Campra et Jean Gilles, Bernard-Aymable Dupuy, le compositeur du Triomphe des arts, est quant à lui sorti de la mémoire collective avec toutes ses œuvres. Né à Toulouse, formé à la maîtrise de Saint-Étienne, cet habile compositeur a exercé ses talents quasi exclusivement en tant que gagiste ou maître de musique à la basilique Saint-Sernin de cette même ville, et, peut-être pour cela, faute d’avoir eu une carrière parisienne, n’a pas été retenu par l’histoire malgré son immense talent et la très grande estime des ses pairs.

Le projet de l’Ensemble Baroque de Toulouse
► Michel Brun, directeur artistique de l’Ensemble baroque de Toulouse, sur plusieurs années et par salves successives, a su distinguer ce modeste manuscrit, alors une cote parmi d’autres, et s’est emparé des 5 entrées et 173 pages de la partition réduite pour permettre sa renaissance. Nous avons bien sûr accompagné avec grande joie ce projet : concert à Saint-Sernin avec un programmes d’extraits de l’œuvre accompagné d’une mini-exposition de nos partitions in situ, cycle de conférences à la salle du Sénéchal, puis, lors d’une deuxième série d’actions, grand concert de l’intégrale de la pièce à la salle Odyssud de Blagnac et, enfin, édition d’un livre-disque, un « vrai » livre où s’expriment sur une centaine de pages différents contributeurs spécialistes de divers domaines.

Photo 2 : Les concerts et le disque

► Pour célébrer la sortie du disque, l’Ensemble baroque de Toulouse a organisé une « Journée des arts » consistant en une déambulation dans la ville de lieu culturel en lieu culturel avec, à chaque fois, un conférencier intervenant sur un thème correspondant à l’une des entrées de l’œuvre : l’architecture, la poésie, la peinture, la musique et la sculpture. La journée s’est clôturée par un concert en costumes à l’auditorium de Saint-Pierre des cuisines.

Photo 3 : La journée des arts

►Tout ce travail important (dont la plus large part est due à l’Ensemble baroque de Toulouse et son équipe, je le redis) est donc parti de cette partition, qui, c’est assez rare, n’a jamais été oubliée dans l’organisation des événements : tantôt exposée, reproduite, projetée en arrière-plan scénique, ou évoquée, citée… Mais, plus que l’œuvre de Dupuy ou le document patrimonial, l’épine dorsale de toutes ces actions a bien été la mise en lumière de cette dynamique de recréation, de cette chaîne humaine pluridisciplinaire – artistique, scientifique, bibliothéconomique – qui sur trois siècles a permis aux arts de triompher pour ce bien-nommé Triomphe des arts.

Photo 4 : Conférenciers et bibliothèque

Une médiation multidirectionnelle
► Remettre au jour la personnalité de Dupuy, l’histoire de la maîtrise de Saint-Sernin et du statut du maître de chapelle, relater le contexte de la création et de la représentation de l’œuvre en 1733, l’ancienne salle du concert de la rue du pré Montardy, le manuscrit comme principal canal de diffusion de la musique en province ; évoquer ces 250 ans de « vie souterraine » de la partition, le rôle-clé des collectionneurs avant la Révolution, retracer l’histoire des collections musicales toulousaines et de la bibliothèque, la question de la conservation des collections patrimoniales ; puis aborder le travail de restitution musicale d’une partition réduite, la mise en place du spectacle lors des répétitions publiques de l’orchestre, et, enfin les concerts et le disque… Cet objet culturel et scientifique hybride éclairant de façon très complète ce long itinéraire dans le temps, conjuguant différentes spécialités, mêlant actions destinées au grand public et aux spécialistes, manifestations éphémères et support pérenne, travail de coulisses et lumières du spectacle a été, me semble-t-il, une œuvre de médiation efficace et singulière, sans hiérarchie, multidirectionnelle (était-ce le concert qui éclairait l’exposition ? Ou le contraire ? Était-ce la conférence qui préparait le concert ? Ou le contraire ?). J’ai le souvenir d’avoir accueilli le public à la fin de la « Journée des arts », chargé de tout ce savoir et de ces connexions diverses, extrêmement impatient de voir enfin « en vrai » la partition, dénouement du feuilleton, et d’en savoir plus à son propos. Personne à ma connaissance avant ces actions n’avait manifesté une telle curiosité !

Merci donc à l’Ensemble baroque de Toulouse

Diapositive 5 : Les musiques du baroque méridional

L’événement
► A l’occasion de l’anniversaire des 30 ans de l’Orchestre des Passions, un autre ensemble de musique baroque de la région Midi-Pyrénées, tout aussi talentueux et dynamique, dirigé par Jean-Marc Andrieu, grand spécialiste de l’interprétation de Jean Gilles, nous a démarché pour nous associer à l’organisation d’un événement sur le thème de la vie musicale à Toulouse et sa grande région aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Photo 1 : Événement et concerts

► D’autres partenaires ont été sollicités dès la phase préparatoire et chacun a travaillé de concert pour préparer, comme vous pouvez le voir à l’écran, les diverses manifestations associées à l’événement « Les musiques du baroque méridional » : un colloque à l’Université Jean Jaurès « Musique, culture et identités dans les provinces du Sud-ouest de la France », deux grands concerts des Passions et du Chœur de chambre les Éléments à la cathédrale Saint-Étienne (avec au programme le requiem de Jean Gilles et les motets à grand chœur d’Antoine-Esprit Blanchard), une conférence de Gilles Cantagrel…

L’exposition
► A la bibliothèque, nous avons organisé une exposition conçue en rebond à l’événement et assortie d’un concert dans le cadre des Music’haltes (les petits motets de Joseph Valette de Montigny). Je retiendrai ici à propos de cette exposition trois axes de médiation apparus une nouvelle fois de manière un peu fortuite.

Photo 2 : L’exposition

La médiation
► La préparation de l’exposition fut l’occasion de vérifier ce que nous savions déjà mais dont nous préférions sous-estimer l’ampleur. La quasi-totalité des partitions et des sources musicales locales avait disparu. Outre les dégâts dus à la tourmente révolutionnaire, c’est avant tout la fragilité du support manuscrit qui est en cause : la rareté des copies dans ce type de diffusion, la désinvolture des acteurs musicaux du premier XVIIIe siècle (compositeurs, chanteurs, instrumentistes, personnels des maîtrises…) qui faisaient peu de cas de la valeur patrimoniales des esquisses, ébauches, copies pour l’exécution ou circulant dans le cercle des professionnels et autres partitions de travail, perdues dans leur immense majorité. Ainsi, pour ne retenir qu’un exemple, aucune des productions toulousaines du très prolixe André Campra ne nous est parvenue malgré onze années passées à la tête de la maîtrise de Saint-Etienne (alors une vraie usine à spectacles). Nous avons choisi de faire de la rareté des sources un axe de médiation. Une vitrine évoquant la personnalité et le rôle cardinal de Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, un important bibliophile de la région qui cultivait le goût rare en son temps des partitions, était un point d’entrée pour intégrer le thème de la conservation et l’histoire des documents dans le synopsis même de l’exposition, tout en accordant aux partitions « miraculées » présentes dans l’exposition un surcroît de valeur aux yeux du public.

► Il y avait de très belles prises malgré tout. Nous nous réjouissions en particulier d’une magnifique moisson concernant l’arrière plan historique et sociétal de la vie musicale locale éclairé par diverses chroniques, relations ou estampes. Second axe de médiation, la force de l’évocation du contexte, des à-côtés sociologique et historiques, des aspects extra-musicaux qui nous aide tant à parler de cette musique, si insaisissable en elle-même, mais qui en revanche, sait établir des liens si forts avec l’individu et la société. Ces angles qui se trouvaient par force surreprésentés dans l’exposition palliaient très efficacement l’indigence relative des sources musicales elles-mêmes. Sans développer ici, nous le ferons lors de la table ronde, je prendrai le seul exemple de ce tableau du début XVIIIème La Procession de corps saints de Jean II Michel (actuellement à l’écran) qui a été choisi par les partenaires comme l’emblème de la manifestation dans les médias. On peut y reconnaître toute la société toulousaine d’alors « se mettant en sons » lors d’une vaste procession : les capitouls, les conseillers du parlement, les couvents, l’archevêque, les chapitres de St Étienne et Saint-Sernin, les pénitents et les habitants de la ville. Cette procession a bien sûr un lien fort avec l’histoire locale et était organisée chaque 17 mai pour célébrer la « délivrance » de la cité face aux huguenots.
Paradoxalement, cette bannière choisie pour représenter l’événement, si riche en terme d’illustration des rapports musique et société, et dont le commentaire était un temps fort de la visite (elle suscitait de nombreuses questions et réactions de la part du public), réfère à des musiques dont les partitions ont toutes disparues, ou à des musiques qui n’ont jamais été transcrites. Disparus, tous ces motets avec symphonie et chœurs composés par les maîtres de musique qui étaient joués lors des stations de la procession. Disparues, ces musiques produites par cette bande ménestrière d’élite en habits cossus rouges et or que l’on aperçoit au centre du tableau, la Couble des hautbois des capitouls, dont le répertoire était probablement véhiculé de façon orale. Cependant, cette absence centrale n’a frappé personne, du côté du public comme de celui des partenaires, sans doute un signe de la force de cet angle de la médiation en musique.

Photo 3 : La Procession de corps saints

► Enfin, ces documents sur la vie musicale pointaient le plus souvent vers des compositeurs peu connus (Thibault Aphrodise, Charles Levens, Bernard-Aymable Dupuy…) tandis que les musiciens que nous choisissons ordinairement de mettre en avant pour représenter les XVIIe et XVIIIème siècles étaient en définitive peu mentionnés. Lors de sa première visite de l’exposition, Jean-Marc Andrieu, qui n’avait manifestement pas les centres d’intérêt du visiteur ordinaire, très réceptif à l’abondance et l’intérêt de cette « matière » inédite, promenait son œil aiguisé de musicien, de directeur d’orchestre, en jaugeant tous ces spectacles qui appelaient à être montés, toutes ces musiques qui languissaient de ne plus être jouées, tous ces talents qui après deux ou trois siècles de silence, avaient encore de belles carrières à construire. Lors de sa prise de parole, il a présenté avec conviction ces vieux livres de musique tels qu’il les envisageait : un réservoir d’émotion esthétique, une mer artistique largement inexplorée et une source pour alimenter le spectacle vivant. Il a conclu d’une phrase, bien étonnante sans le secours de cette superbe médiation spontanée à laquelle il venait de se livrer :
« Décidément, elles nous font rêver, ces partitions ».

Ce sera aussi ma conclusion. Merci de votre attention

Photo 4 : Jean-Marc Andrieu

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Les expositions à la Bibliothèque-musée de l’Opéra, par Mathias Auclair
« Je suis le directeur du département de la Musique de la BNF depuis un an, après avoir été pendant une quinzaine d’années l’adjoint du directeur de la Bibliothèque-musée de l’Opéra et le commissaire d’une quinzaine d’expositions sur des sujets le plus souvent en lien avec la Musique, notamment Gounod en 2010, Massenet en 2012, Verdi-Wagner en 2013 et Rameau en 2014. La dernière qui vient de s’achever, consacrée au peintre Léon Bakst, était sans doute l’une des moins musicales…
Présentation : Contexte institutionnel, technique, immobilier et financier. Une situation susceptible d’évolutions à l’avenir, notamment à la faveur du projet Richelieu
Le bilan d’une quinzaine d’expositions à la BMO : Des expositions où la Musique n’est pas traitée pour elle-même mais comme un aspect de sujets plus vastes à caractère institutionnel et théâtral
Notre problématique :

  • ni faire entendre la musique, ni la « montrer » mais faire émerger / comprendre les processus créatifs (en lien avec ce qui est attendu du département)
  • Sortir de l’image d’Épinal du compositeur inspiré par je ne sais quel Saint-Esprit
  • Montrer de manière simple la complexité de la création théâtrale / lyrique et donc musicale qui fait dialoguer plusieurs acteurs (l’Etat, les institutions, les différents acteurs de la création, des personnes tierces aussi…)
  • Montrer aussi l’évolution de l’œuvre au cours du temps.

Notre façon de la mettre en œuvre : le traitement par facettes : faire appel à une grande variété documentaires (archives, partitions, dessins, maquettes, costumes, affiches, programmes, billet, photos…) et former visuellement et scénographiquement des ensembles documentaires cohérents qui par leur réunion disent quelque chose sur la création. »


BNF – Bibliothèque-musée de l’Opéra

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Le MuPop par Marc Touché
De qui et de quoi nous parlent les expositions portant sur les musiques actuelles-amplifiées qui sont programmées et réalisées par des musées en France : star système, icônes rock ou de la chanson… en deux mots le monde des professionnels. Pourtant les pratiques amateurs constituent l’immense continent des pratiques musicales. L’évocation brève de 4 expositions construites à partir de travaux de « recherche-collectes » localisées permettra de discuter de l’émergence de ces musiques en France du point de vu des acteurs anonymes qui ont contribué à créer des scènes locales.
La présentation d’une acquisition d’une « unité écologique » (un local de répétition punk-rock) et de sa présentation au public dans le parcours permanent du Mupop à Montluçon est l’occasion de discuter de l’intérêt de se pencher sur les dimensions cachées de la création musicale éléctroamplifiée et de son insertion dans la vie quotidienne et urbaine ainsi que sur les modes de vie et sociabilités des musiciens et de leurs publics.
Depuis 1994 Marc Touché a été en mission scientifique :
– auprès du Musée des musiques populaires de Montluçon devenu en juin 2013 le Mupop,
– Auprès du Musée national des arts et traditions populaires de Paris devenu également en juin 2013 le MuCEM à Marseille.
Il était sociologue au CNRS :
– au CRIV à Vaucresson où commencèrent ses travaux sur les pratiques musicales (dont l’enquête sur le Local de répétition dont il va être question),
– au Centre d’ethnologie française situé dans le MNATP,
– puis au Laboratoire Georges Friedman/IDHES, Sorbonne-Paris1.
Ses travaux de recherche de terrain inscrit dans la durée ont porté essentiellement sur la socio-histoire du skateboard et celle des « musiques électroamplifiées » vus d’en France ainsi que sur la question de la gestion des risques auditifs dans les pratiques musicales amplifiées.
Dans ces Musées il a crée des collections pionnières et des expositions itinérantes ou non à partir des travaux de recherche.

Marc Touché a terminé sa carrière au CNRS en tant que:
– commissaire général et scientifique de l’exposition « Béton Hurlant » au Musée national du sport à Paris. Musée délocalisé aujourd’hui à Nice.
– conseiller scientifique pour la création du parcours « musiques électroamplifié » du Mupop.
– Membre du comité scientifique de l’association Agi-son sur les questions de prévention sur les risques auditifs lié aux pratiques des « musiques électroamplifiées »
A la retraite il poursuit en bénévole ses participation au Mupop et à Agi-son.

Articles :
Marc Touché, « Plus de bruits au musée », La Lettre de l’OCIM [En ligne], 158 | 2015
Touché Marc, « Muséographier les « musiques électro-amplifiées ». Pour une socio-histoire du sonore », Réseaux, 2/2007 (n° 141-142), p. 97-141. [en ligne]

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