1. Vous êtes bibliothécaire (ou discothécaire) à bibliothèque Cherbourg-Octeville, et vous venez de rejoindre le Conseil d’administration de l’ACIM, pourriez-vous vous présenter en quelques lignes ?
Je suis arrivé dans la profession un peu par hasard, après des études artistiques et littéraires, j’ai gravité dans le milieu du fanzinat musical underground, j’ai enchaîné des postes dans la culture (Art Contemporain, Théâtre) avant de devenir disquaire (rayon labels indépendants, ça existait encore !), puis après la fermeture de la boutique au tournant de l’an 2000 j’ai rejoint le monde des bibliothèques. Depuis quelques années je travaille sur les musiques actuelles à la bibliothèque de Cherbourg-Octeville.
2. Pourriez-vous nous décrire les collections, les services, ou les animations proposées par la bibliothèque Cherbourg-Octeville
Nous sommes actuellement dans l’attente de retrouver « nos murs » dans le centre culturel du centre-ville en rénovation, cette situation « en transit », tout en restant ouvert au public dans un lieu plus excentré, n’a pas changé nos missions et nos convictions mais cela atténue et laisse en suspens une partie de nos projets (tel celui du prêt d’instruments de musique…)
Petit retour en arrière. La discothèque a été créée en 1982, à l’origine autour de collections vinyle et cassette audio. Très rapidement une partothèque a été développée qui reste aujourd’hui encore une offre importante dans notre structure. L’arrivée du cd et le développement d’une vidéothèque au sein de la discothèque ont marqué les années 80 et 90. Nous avons aussi eu quantité de laserdisc vidéo musicaux, de vidéo U-Matic… Des désherbages chroniques ont eu raison du fonds vinyle et d’une partie des collection cd, avant que nous ne décidions de conserver dans une réserve « active » les documents retirés des bacs. Aujourd’hui nous proposons donc une importante collection de cd, de dvd musicaux et cinéma, de partitions, de littérature/documentation autour de la musique et de revues musicales.
A ces collections traditionnelles, nous avons décidé d’ajouter d’autres offres. Un fonds vinyle destiné à offrir les productions « vinyl only », en particulier celles du grand-ouest, nombre de labels et artistes indépendants privilégiant ce type de support, voire celui de la cassette audio. Nous avons aussi fait l’acquisition d’une console de jeux (WII) pour mettre à disposition des jeux musicaux (Rockband, Guitar Hero…) Enfin le projet de prêt d’instruments de musique (guitares folk, guitares et basses électriques, ukulele…) validé de longue date prend forme à l’approche des dernières étapes de la rénovation du centre culturel dans lequel la bibliothèque retrouvera sa place après trois années passées dans un ancien hôpital maritime.
Il y a toujours eu une attention importante portée à la qualité de la diffusion et de l’écoute sur place et le futur espace perpétuera cela en offrant des platines cd, vinyles, casques et enceintes au plus près d’une qualité audiophile, ainsi qu’un espace jeux/visionnement vidéo et un espace avec piano numérique et instruments.
La médiation au quotidien est l’objet de beaucoup d’improvisation, d’envie, d’hommages. Cela va des pochettes surprises thématiques ou énigmatiques, aux sélections plus concertées en rapport avec le territoire. Nous avons aussi organisé des café-musique « Expressillons » qui hélas ne peuvent se renouveler pendant notre période de transit.
Sur le plan de l’offre numérique, nous ne cessons de nous informer avec passion sur le sujet, les expériences… mais restons assez réservés sur le coût des offres existantes à une époque où nos budgets d’acquisition ne cessent de fondre. La stabilité de nos prêts physiques avant notre déménagement, et leur bonne santé malgré le caractère particulier d’un établissement provisoire (le taux de rotation par exemplaire des documents audio/vidéo reste très bon par rapport aux livres) fait que nous ne sommes pas dans une perspective où nous pourrions réduire les acquisitions physiques pour développer une offre numérique. L’accès à des ressources en ligne est favorisé par des postes avec un internet ouvert au maximum (vidéo et audio streaming…), des liens vers des ressources numériques sur le catalogue en ligne (nous avons le logiciel libre Koha qui est « full web »).
Voilà à quoi cela peut ressembler : pochette, descriptif du contenu, petit résumé et dans « ressources en ligne » un lien vers une source d’information pérenne dans la mesure du possible (Discogs pour les musiques actuelles semble assez pertinent, avec souvent des écoutes d’extraits et vidéos sur la page de l’album). Exemple de notice :
https://bibliotheque.cherbourg-octeville.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=257933
Au niveau de la musique « vivante », nous proposons depuis près de 18 ans un programme intitulé « Mélodies en sous-sol » (l’ancienne audiothèque était dans la cave du bâtiment) qui offre des concerts, rencontres, conférences autour de la musique. Cette année par exemple : un ensemble baroque (Les Voyageurs), un folk-singer islandais (Svavar Knutur), un duo opéra-accordéon (O’perakordion) des conférences sur l’esthétique sonore, les filles du rock, les crooners, la musique sous l’occupation…
La programmation comme les expositions font souvent l’objet de partenariat avec des acteurs locaux, régionaux voire nationaux (Scène Nationale de Cherbourg, festival Les Boréales, Jazz Sous Les Pommiers, La Semaine Du Son, Femmes Dans La Ville, Fête de la Musique…).
3. Vous êtes d’autre part un acteur pleinement engagé dans la scène musicale, de diverses manières et avec de multiples activités : militant associatif, organisateur de concert, rédacteur de webzine, DJ, manageur de label, pourriez-vous nous présenter chacune de ces activités ?
Effectivement, n’étant engagé que sur un mi-temps de discothécaire, je poursuis des activités associatives et militantes importantes, tant dans l’écriture que dans la production.
Chroniqueur et rédacteur musical depuis la fin des années 80, j’ai toujours tenté de faire partager mes découvertes de musiques underground allant de l’industriel, l’expérimental, l’avant-garde aux esthétiques coldwave, darkwave, post-punk, gothic-rock, ethereal… J’ai rejoint l’aventure de fanzines comme Prémonition, Uzine, La Rue Clandestine… alors émergents et concurrents de Magic Mushroom (futur Magic Pop Moderne) ou Les Inrocks (trimestriel vendu chez les disquaires à l’époque). Ayant quitté la capitale, la distance ne facilitant pas les échanges (malgré à l’époque l’envoi de chroniques via des services 3614 du Minitel, prémices de notre monde connecté), j’ai rapidement monté une association pour lancer un fanzine sur Cherbourg : Trinity (sur papier de 1997 à 2003, mais aussi webzine dès 1998). – http://www.asso-trinity.org/ –
Afin de faire découvrir les groupes chroniqués et interviewés, nous avons très vite organisé des soirées mix et concerts dans la ville (une quarantaine de soirées Dark Delights à ce jour), en l’absence de radio libre sur Cherbourg, les playlistes sont l’occasion de mettre en avant les découvertes et de revisiter l’histoire musicale à travers thématique (Madchester, 4AD, Siouxsie, anti-nucléaire, Parapluies Noirs sur Cherbourg…). Listes de quelques soirées et playlistes :
http://www.asso-trinity.org/Trinity-Soirees.php
Pour les dix ans de l’association, nous avons créé un label Meidosem Records (hommage au pays de la magie d’Henri Michaux) et édité un premier disque (en cd à l’époque) : une compilation internationale sur le thème « Ruines & Vanités ». Depuis nous avons publié un vinyle du trio Mémoires D’Automne (Roanne, coldwave-post-punk) et en 2014 deux disques sont prévus : un nouvel album d’Opera Multi Steel (Bourges, minimal-wave & cold) et un double-album de Cindytalk (Ecosse-Japon, industrial-post-punk). Parallèlement l’association propose aussi une boutique « distro » (en ligne et lors des soirées) de disques, revues… basée sur des échanges avec d’autres labels internationaux.
http://spiralesmystiques.bandcamp.com/
4. Avez-vous construit des ponts entre ces activités et l’offre musicale proposée dans le cadre de votre bibliothèque, que ce soit au niveau des collections, des services, ou des animations ?
Cette question me tient à cœur car l’expérience musicale associative décrite ci-dessus (ainsi que celle de disquaire) m’apportent un regard particulier sur le métier de discothécaire, je sais par expérience que les niches musicales sont riches et peuvent aisément trouver des oreilles aimantes. En bibliothèque nous avons la chance de pouvoir compléter le panorama officiel du marché de la musique qui est souvent fait de buzz, de coups montés, de sensations éphémères, par une exploration des scènes musicales en marge du « mainstream ». Les dernières infographies et études sur le marché de la musique exposent d’ailleurs assez souvent ce phénomène d’émiettement des grands genres au profit de multiples sous-genres et courants. A nous de lier, de relier tout cela pour rendre les choses plus compréhensibles et attractives.
Différent sujets, tels que le retour du vinyl, la résistance du support physique me sont aussi confirmés par le public rencontré par le biais associatif, cela permet de tempérer une certaine tendance de la profession à juger notre salut à l’aune de nos galipettes technologiques. Le domaine musical est pour cela idéalement placé, toujours un peu à la proue, tout en étant en marge des (r)évolutions.
Au niveau des animations il est évident que les contacts pris au dehors, à l’occasion de concerts, chroniques… peuvent initier de futures animations ou tout au moins les faciliter. Les bibliothèques étant souvent absentes de la cartographie mentale des groupes qui cherchent des lieux pour jouer et partager leur musique.
5. Comme bibliothécaire, de quelle manière participez-vous à la promotion et à la reconnaissance des artistes ?
Actuellement au niveau de la communication nous travaillons en cumulant les méthodes anciennes (affiches, flyers, presse locale, courrier…) et plus ou moins modernes (mails, réseaux sociaux…). Sur le plan de la promotion des artistes cela va de pair avec la mise en valeur de leur production (sélections de documents…), mais nous manquons cruellement de temps pour mener à bien les choses sur tous les fronts. Une bonne communication physique en local : affichage et dialogue à brûle-pourpoint en centre-ville reste la meilleure des manières de donner envie, de parler des artistes et de faire venir du monde. Le sempiternel événement « Facebook » ne fédérant finalement que très peu, plus le temps passe, plus cela devient un simple agenda pense-bête.
6 Les nouveaux médias sociaux et les outils offerts par le numérique vous semblent-ils un risque ou au contraire une opportunité pour les bibliothèques ? Et pour les scènes musicales ?
C’est sans conteste une opportunité, cela donne une visibilité, nous donne une place là où ne sommes pas reconnus naturellement, auprès de publics parfois très éloignés de nos établissements. Pour autant, dégager du temps pour continuer à faire vivre les deux est un défi, surtout dans un contexte où les moyens humains ont tendance à baisser et les tâches à se multiplier. Malgré les réels efforts de réorganisation ces dix dernières années, les gains de productivité ont atteint leurs limites et une vraie réflexion sur nos missions reste à faire.
7. Quels sont aujourd’hui les médias sociaux et les outils numériques que vous utilisez et dont vous pourriez difficilement vous passer ? Youtube ? Bandcamp ? Soundcloud ? Facebook ? Pirate Bay ?… 🙂
J’utilise tous les jours pour l’information musicale : Discogs, Bandcamp, Soundcloud et les sites d’artistes lorsqu’ils existent encore. Pour le reste effectivement Facebook, Wetransfer, Eztv, Pirate Bay ou Kickass sont utiles à divers titres.
Au niveau logiciel, sur le plan professionnel nous sommes encore sous Windows, même si le passage au SIGB Koha a ouvert une brèche vers le libre.
Pour mon activité associative tout est réalisé sous logiciel libre. J’aimerais un monde sous Linux avec Diaspora, Duck Duck Go… libre et moins marchand mais il faut parfois traverser les grands axes pour rejoindre sa destination et vivre avec la majeure partie de ses contemporains.
8. Inversement quels supports physiques vous semblent, sinon porteurs d’avenir, du moins pouvoir résister au tout numérique ? CD ? Vinyles ? K7 ? DVD ? Blu-Ray Audio ? Livres ? Partitions ?
Le cd a encore quelques beaux jours devant lui avant de devenir un support de niche, il demeure pratique et la quantité de lecteurs cd (de salon, autoradio, PC) restera pour encore quelques années le gage de leur survie. Le vinyle revient c’est un fait incontournable mais ne sera jamais un support grand public comme par le passé, c’est par contre un support idéal pour la médiation tant pour les pochettes que pour le rituel de l’écoute. La cassette est encore plus marginale mais devient une proposition esthétique et symbolique forte, snob et passablement hipster mais beaucoup de jeunes labels n’éditent que des cassettes et des fichiers numériques ce qui la rend pertinente dans nos fonds.
Le DVD musical s’essouffle un peu surtout au niveau des parutions, mais difficile de voir le Blu-Ray comme un support d’avenir quand on écoute le public de nos bibliothèques, le fan de Blu-Ray semble aussi isolé que jadis celui du SACD…
Les livres sont et resteront un symbole de la bibliothèque, on voit bien que lors de choix budgétaires il est plus commun de cesser d’acheter des disques plutôt que des livres, ce qui va souvent à l’encontre des statistiques de prêt, comme quoi la musique doit toujours défendre bec et ongles sa place dans nos bibliothèques en 2014.
9. Quels sont vos projets pour développer l’offre musicale de votre bibliothèque ?
Continuer à faire découvrir, à partager, mais mieux, c’est à dire en étant plus en phase avec les publics, sans aller sur le terrain désormais ressassé du troisième lieu, amener plus de convivialité, faire entrer la vie musicale un peu plus encore dans la bibliothèque mais au fond être une bibliothèque dans le sens le plus modeste et sobre du terme, ne pas chercher à tout prix le buzz, les clics et la une.
Cela commence par mettre de la musique dans le lieu, organiser des rencontres intimistes avec des artistes et des œuvres, offrir du temps et de l’écoute au public, faire le lien avec l’actualité du territoire, s’ancrer davantage dans le tissu culturel local et ne pas rester entre soi « professionnels de la profession » pour déterminer l’avenir de nos établissements.
Et pourquoi pas un autre projet plus interprofessionnel: l’accueil de futures RNBM à Cherbourg à l’occasion de la réouverture?
10. Quels sont vos goûts musicaux ? Quels disques écoutez-vous actuellement ?
Actuellement j’écoute beaucoup ces quelques disques récents (2013) :
- Camerata Mediolanense « Vertute, Honor, Belleza » 3cd
- Nick Cave & The Bad Seeds « Push The Sky Away » lp/cd
- Contre-Jour « Passion And Fall » cd
- Crime & The City Solution « American Twilight » lp/cd
- The Feeling Of Love « Reward Your Grace » lp/cd
- Helium Vola « Wohin ? » 2cd
- Mark Kozelek « Like Rats » cd
- Lebanon Hanover « Tomb For Two » lp
- Omne Datum Optimum « La Part Des Anges » cd
- Red Temple Spirits « s/t » 2cd
- Teho Teardo & Blixa Bargeld « Still Smiling » lp
- Uk Decay « No Hope For The Dead » lp/cd
- v/a « Terres Neuves » cd+livre
- :Zoviet France: « The Tables Are Turning » lp/cd
Et quelques autres plus anciens :
- Virginia Astley « A Bao A Qu » LP
- John Cale « Words For The Dying » LP
- Durutti Column « LC » LP
- Rowland S. Howard « Pop Crimes » LP
- Jeanette « Hum » LP
- Paul Roland « A Cabinet Of Curiosities » LP
- Siouxsie & The Banshees « Hyaena » LP
- Swallow « Blow » LP
- Mirel Wagner « s/t » LP
- The Wolfgang Press « The Burden Of Mules » LP
11. Liens hypertextes : vos autres blogs, sites,… ou ceux de vos collègues participants, ou quelques-uns de vos sites et blogs favoris.
Quelques sites favoris:
http://www.obskuremag.net/
http://thequietus.com/
http://www.premonition.fr/
http://www.chaindlk.com/
http://www.slicingupeyeballs.com/
Le site du webzine Trinity:
http://www.asso-trinity.org/
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