Communiqué : Précisions concernant les accords de partenariat de la BNF avec Believe et Memnon sur le fonds sonore

  • Par administrateur
  • 29 avril 2013
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Parce que rien n’est simple, et dans le maelstöm actuel lié aux contrats conclus par BnF-Partenariats, il nous a semblé important et nécessaire d’apporter un éclairage différent sur la partie concernant le fonds sonore en donnant la parole à Pascal Cordereix (conservateur au département audiovisuel de la BNF).

Pascal Cordereix, qui a contribué à la réalisation de ce dossier, apporte ici des éléments d’information essentiels pour saisir les enjeux de ce partenariat public-privé, comme notamment le fait que 70% du corpus musique est encore sous droit d’auteur.

S’exprimant en son nom personnel, Pascal Cordereix a également souhaité réagir à tout ce qui a pu être écrit et dit sur ces accords. Précisons que son avis ne doit donc pas être confondu avec la position de l’association.

En effet, l’ACIM a relayé sur son site le communiqué de l’IABD du 21 janvier 2013.

 L’ACIM restera vigilante notamment sur l’accès au plus grand nombre de ce corpus d’oeuvres sonores numérisées et c’est pourquoi elle participera aux réunions qui se tiendront début juin 2013.

Sophie Cornière, Présidente de l’ACIM


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Le partenariat BnF / Memnon / Believe digital pour la numérisation et la valorisation d’un fonds des 45 000 disques microsillons et 140 000 disques 78 tours.

par Pascal Cordereix

Nous essayons d’en donner les grandes lignes ci-dessous :

Tout d’abord, il s’agit d’un partenariat qui se situe dans le cadre des investissements d’avenir (ex-grand emprunt de Nicolas Sarkozy).

http://investissement-avenir.gouvernement.fr/content/investissements-davenir-deux-partenariats-denvergure-conclus-pour-la-num%C3%A9risation-et-la-diff

Il y a deux partenaires :

– Memnon (basé en Belgique, prestataire régulier du département de l’Audiovisuel de la BnF) pour la numérisation,

– Believe digital pour la commercialisation.

Sont concernés :

– 45 000 disques microsillons* (17cm, 25 cm, 30 m), parus entre 1949 et 1962 (limite des droits voisins)

* sur les 350 000 conservés par la BnF

– 140 000 disques 78 tours* parus entre [ca] 1900 et [ca] 1957

* sur les 250 000 conservés par la BnF

Le tout représentant environ 700 000 titres.

Le calendrier :

La numérisation débute en mai 2013, et commence par les microsillons, dont l’ensemble (si tout se passe bien) devrait être numérisé fin avril 2014, avant d’aborder les 78 tours.

L’opération de numérisation est prévue sur une durée de 7,5 ans.

Les grands principes :

Les partenaires reversent à la BnF :

– 1 copie en haute définition (24 bits – 96 kHz) + scan des pochettes et des étiquettes pour la conservation absolue et la diffusion en interne à la BnF, via le système audiovisuel (système de consultation des ressources audiovisuelles à la BnF). Copie à la face ;

– 1 copie en haute définition (24 bits – 96 kHz) + scan des pochettes et des étiquettes pour la conservation absolue et la diffusion en interne à la BnF, via le système audiovisuel (système de consultation des ressources audiovisuelles à la BnF). Copie découpée à la plage ;

– 1 copie en basse définition (MP3 320 kbps) + scan des pochettes et des étiquettes pour la diffusion en interne à la BnF, via Gallica intra muros. Copie découpée à la plage ;

– de cette dernière copie sont réalisés des extraits (+ images étiquettes et vignettes pochettes) pour la diffusion sur Gallica extra muros

Donc schématiquement :

– 2 copies haute définition reversée à la BnF : une découpée à la face, l’autre à la plage ;

– consultation en intégralité à la BnF et extraits sur Gallica extra muros pendant la période du contrat (10 ans).

Vers les plateformes commerciales :

Believe est un distributeur numérique qui alimente 350 plateformes commerciales au plan mondial : Itunes, Deezer, Spotify…,

Vers  les mediathèques, conservatoires… :

Il est évident que depuis le lancement du projet en juillet 2011, le département de l’Audiovisuel a demandé à ce que le fruit de cette numérisation puisse être proposé aux médiathèques sous forme d’abonnement (cf MusicMe, Cité de la Musique…), ce qui a été acté par Believe. Il reste maintenant à en définir les modalités : la BnF est évidemment à l’écoute des besoins qui pourraient remonter, avec des réunions programmées en juin 2013 avec l’ACIM, l’AIBM…


Réponses aux critiques / Par Pascal Cordereix

Les critiques n’ont pas manqué, elles ne manquent pas, et elles ne manqueront pas. Si l’on peut reconnaître un défaut évident de communication de la part de la BnF, encore faudrait-il être un peu plus subtil dans la critique qu’ActuaLitté ou d’autres.

Sans détailler les approximations, raccourcis hasardeux, et autres suppositions douteuses qui ont émaillé lesdites critiques, une attaque récurrente est particulièrement choquante, celle qui voudrait que le partenariat soit une « privatisation du domaine public ».

Pour le corpus sonore, les deux notions sont à préciser :

– « domaine public » : or plus de 70 % du corpus sonore proposé est encore protégé par le droit d’auteur, et ne relève donc aucunement du domaine public. On nage ici en pleine confusion : collections publiques ne veut pas dire domaine public. On est ici face à des collections publiques de droit privé.

Si l’on part sur l’idée de « libérer » les 30 %  libres de droits : cela représente un travail de titan (analyse titre par titre, compositeur, par compositeur, auteur par auteur, sans oublier les arrangeurs… (quand on sait que le corpus considéré contient plusieurs milliers d’enregistrements arabes, russes…), qui a un coût (avant de lancer Ina.fr, l’INA avait engagé un bataillon de juristes), et qui prendra quasiment autant de temps que la durée du contrat.

Précisément, l’idée de la BnF est de prendre la durée du partenariat (voire moins si possible, notamment sur des opérations de valorisation…) pour identifier sans risque de contestation (SACEM) les enregistrements libres de droit pour les proposer gratuitement dans Gallica.

Sinon, si l’on accepte l’idée de numériser et de diffuser des documents sous-droits : qu’on soit sur Gallica ou sur une plate-forme autre, il y aura des droits SACEM à régler. Question : qui les règle ? Les ayatollahs, gourous autoproclamés répondront en chœurs : la BnF. Le minimum de réalisme orientera plutôt vers l’internaute. Au final Gallica ou autre, partenariat ou pas, pour le sous-droit, de ce point de vue, on perçoit mal la différence.

– « privatisation » :

Tout d’abord, j’aimerais qu’on m’explique où est la privatisation : sans ce partenariat, les 185 000 disques 78 tours et microsillons faisant précisément l’objet du partenariat n’auraient probablement jamais été numérisés, ou pas numérisés en totalité avant une trentaine d’années (ce sont les calculs de la BnF s’appuyant sur ses moyens actuels, qui vont, qui plus est, baisser dans les années à venir).

Ensuite, le terme de « privatisation » vient du fait qu’il y a, effectivement, une exclusivité de distribution numérique (et uniquement pour la distribution numérique ; tout autre forme d’exploitation : ie : édition physique… est possible pour un tiers) au bénéfice de Believe pendant 10 ans à la signature du contrat : il convient d’insister sur ces termes : 10 ans à la signature du contrat (et non pas 10 ans à partir de la numérisation).

En d’autres termes : le contrat ayant été signé fin 2012, l’exclusivité de distribution courra jusqu’en décembre 2022.

La numérisation, elle, commençant en mai 2013, est prévue sur une période de 7,5 ans, c’est-à-dire jusqu’en décembre 2020.

Ce qui signifie que la durée effective d’exclusivité n’est pas de 10 ans, mais :

  • au maximum de 9,5 ans (pour les disques numérisés en mai 2013),

  • et au minimum de 2 ans (pour les disques numérisés en décembre 2020).

Avec une moyenne de 6 ans, conforme aux recommandations européennes (contrairement à ce qu’on a pu lire, là aussi, un peu partout).

Ceci posé, ce qui est apparu à l’occasion de la rencontre entre les associations professionnelles et la BnF le 13 février 2013, le problème est dans la perception du temps. 10 ans (ou 9,5 ans peu importe) à l’échelle d’une institution comme la BnF, ce n’est rien ; 10 ans à l’échelle d’une bibliothèque publique ou universitaire, c’est long ; je ne le contesterai pas.

Par ailleurs :

– que « privatise »-t-on ? : sachant que la BnF reste propriétaire de tous les fichiers créés, notamment une copie en haute définition (24 bits – 96 kHz). qu’elle récupère dans le cadre de ce partenariat, et qu’elle n’aurait pas eu les moyens de réaliser seule (ou sur une trentaine d’années, voir ci-dessus).

– qui « prive »-t-on ? : sachant encore une fois, que sans ce partenariat, aucun internaute n’aurait jamais eu accès à ces documents, en dehors des emprises de la BnF. Personne ne dit que c’est la panacée, mais l’offre numérisée sera disponible sur 350 plateformes, payantes certes, mais parfaitement accessibles ; sans parler de l’offre en médiathèque, qui fait bel et bien partie du contrat.

Enfin, contrairement à ce qui est dit partout, l’argent public n’est pas « donné » à des opérateurs privés. Le financement public est utilisé d’une part en une avance remboursable versée à Memnon pour qu’il puisse s’équiper en studio de numérisation et d’autre part pour assurer la numérisation des premiers mois de production avant le démarrage de la commercialisation.

80 % des coûts de la numérisation (au total un peu plus de 7 millions !) sont financés par la commercialisation des fichiers, sous la responsabilité de Believe, qui doit  équilibrer  d’abord ses comptes, et dans le meilleur des cas, dégager des recettes dont une partie sera reversée à la BnF.

Au final, comme mentionné plus haut, la seule chose « privatisée » est donc l’exclusivité de distribution en ligne vers les plates-formes pendant 10 ans accordée à Believe pour compenser l’investissement réalisé, sachant que la durée de numérisation est de 7 ans et demi minimum.

Un regard vers l’étranger :

Si l’on compare la situation de la BnF avec ses homologues étrangères, on s’aperçoit qu’à l’international, la situation est loin d’être aussi avancée qu’on veut bien le croire en général :

– Sur les 50 000 documents sonores diffusés en ligne par la British Library en accès libre et gratuit (http://sounds.bl.uk/ ), seuls 4 000 sont des phonogrammes édités (78 tours) ; à comparer avec les 185 000 du partenariat BnF. Qui plus est, ces 4 000 disques sont libres de droits (à comparer là aussi, avec les 70 % de documents sous droits de la BnF).

– Le national Juke box de la Bibliothèque du Congrès aux Etats-Unis (http://www.loc.gov/jukebox/ ) : 20 000 disques 78 tours édités en accès libre et gratuit, grâce à une cession de droits de Sony, propriétaire des catalogues mis en ligne. Le jour où Sony reprend ses billes, c’en est fini du national Juke box.

– La bibliothèque nationale d’Espagne : une des plus avancées au plan européen : 2 000 disques libres de droits en accès libre (http://www.sobookonline.fr/livre-numerique/ebook-world/des-milliers-darchives-sonores-sur-la-bibliotheque-nationale-despagne/ ).

En conclusion, si l’on veut essayer de prendre un peu de recul par rapport à une polémique typiquement franco-française (qui, vue de l’étranger laisse pantois, il faut quand même le préciser), les deux éléments à retenir me sembleraient pouvoir être :

  • la mise à disposition d’un patrimoine sonore conséquent, qui a peu – ou pas – d’équivalent dans le monde ;

  • mise à disposition qui pourrait être susceptible de faire bouger les lignes quant à la numérisation et la mise à disposition des fonds sonores patrimoniaux des bibliothèques. Des Gilles Pierret et d’autres appellent cela de leurs vœux depuis des années. Il me semble qu’il y a là une opportunité à saisir s’agissant d’un enjeu beaucoup plus considérable que les procès staliniens intentés à l’heure actuelle.

Pascal Cordereix
Service des documents sonores
Département de l’Audiovisuel
Bibliothèque nationale de France