En guise d’introduction
Un large débat concernant l’indexation alphabétique matière s’est engagé au cours de ces dernières années et plus récemment sur les listes de diffusion professionnelles. Au travers des différents articles et interventions, il apparaît de nombreuses disparités de pratiques. Si, dans le domaine du livre, les discussions se situent uniquement au niveau de l’utilité de ce type d’indexation, pour la musique et surtout pour les phonogrammes musicaux, un consensus semble poindre sur la nécessité de recourir à une description analytique de l’enregistrement.
Pour cette description, plusieurs méthodes sont utilisées : les choix de thésaurus ne sont pas uniformes et le champ Unimarc utilisé pour placer les descripteurs n’est pas partout le même.
Alors que faire ? Car il ne faut pas omettre les différentes critiques face à ces pratiques ni les limites posées par cette indexation.
Descripteurs & accès
Quelles sont les possibilités offertes pour décrire un enregistrement ? Quels sont les accès possibles ? Sont-ils suffisants ? Voilà les trois questions qu’il convient de se poser avant d’aborder la question de la description analytique. Il faut d’abord savoir ce que l’on veut décrire : quelle forme et quel contenu ? Pour la forme, les discothécaires sont confrontés à deux types de supports musicaux : le phonogramme et la partition. Quelle différence entre les deux ? Le phonogramme sera le plus souvent une unité (même s’il s’agit d’un coffret de plusieurs disques) quand la partition pourra être un groupe de parties. On ne décrira pas de la même façon une partition d’orchestre que l’ensemble des partitions des musiciens de cet orchestre. Cette différence pourra intervenir dans la description analytique car on pourrait imaginer un accès à l’instrument auquel la partition est dédiée.
En fait, les différences partition/phonogramme interviendront surtout dans l’ISBD. Quels accès nous donne cette ISBD ? Il s’agit d’une description de l’enregistrement (ou de la musique imprimée) pour laquelle le support physique est secondaire. Mis à part les champs de collation et de référence commerciale, on décrira de la même façon une cassette, un 33 tours ou un laser, puisque l’on se doit de cataloguer ce que l’on entend. Quels accès donc ? D’abord les titres, au pluriel car l’usage veut que l’on développe les titres contenus dans l’enregistrement. Ensuite, pour la musique classique, nous avons les titres uniformes qui peuvent, dans certains cas, offrir des accès par type d’œuvre ex : [Sonates. Claviers. BWV 963. Ré majeur]. Enfin, les auteurs, ici le nombre dépendra de la qualité de description que l’on veut obtenir, certains ne développent que les interprètes, d’autres ajoutent les auteurs et les compositeurs, cela dépend des usages locaux et des genres musicaux.
A l’ISBD s’ajoutent les entrées d’indexation systématique. Avec l’informatisation des fonds, il apparaît que la pratique de cette indexation se soit pervertie et que l’on se soit mis à confondre le rangement théorique (indexation systématique) et le rangement en rayon (la cote). Là où les règles de l’indexation préconisent la multiplication des entrées au fichier systématique, l’usage n’a retenu que la constitution de la cote. C’est l’un des regrets de Dominique Lahary. Rien n’interdit l’indexation multiple d’un même document et de ne retenir qu’un indice pour forger la cote qui par ailleurs ne pourra être constituée que d’une partie de l’indice (cf. les cotes validées mises au point par Bertrand Callenge).
Lorsque l’on avance la possibilité d’un accès par l’indexation systématique d’aucuns rétorquent que celui-ci n’est pas « naturel » voire qu’il est obscur pour le public. A ceux là, Alain Caraco donne deux réponses : d’abord la recherche matière n’est pas non plus une démarche « naturelle » ensuite la plupart des logiciels offrent la possibilité d’utiliser des libellés de classification c’est à dire la traduction lexicale des indices systématiques. L’utilisation de ces libellés permet d’accéder à l’indice systématique en tapant des mots, exactement le travail inverse de celui du catalogueur qui traduit des mots en chiffres. De cette manière nous obtenons trois accès lexicaux.
En résumé nous avons trois groupes d’accès possible : Titres, auteurs et indices systématiques. L’informatique nous offre un quatrième accès : les mots de la notice. Un bon logiciel sera capable d’explorer les pavés ISBD pour y trouver les mots correspondant à la requête formulée. A ces quatre accès, est-il nécessaire d’en ajouter un cinquième ? Alain Caraco défend l’idée que ces accès suffisent, même pour les documentaires, arguant que la majorité des ouvrages documentaires contiennent des indications sur leurs sujets dans leurs titres et qu’un accès matière représente un travail inutile destiné à ne combler qu’un manque négligeable.
Faut-il d’autres accès ?
Mais Alain Caraco parle des livres, peut-on appliquer ses propos aux phonogrammes et partitions ? Pour les partitions je ne suis pas expert, aussi je laisserai ce domaine de côté pour l’instant [1]. Les accès titres, auteurs, indices sont-ils suffisants pour retrouver un phonogramme ? Tout dépend de ce que l’on cherche. Les principes de classement viennent d’être révisés mais suffisent-ils à répondre à toutes les requêtes courantes. Il s’agit bien de ne s’attarder que sur les cas usuels. La majorité d’entre nous travaillent en tant que généralistes, les services spécialisés (les discothèques de conservatoire par exemple) ont d’ores et déjà mis en place des descripteurs et des points d’accès spécifiques à leurs domaines et à leur public. Donc, en temps que généraliste, les accès précités sont-ils suffisants ? Le constat doit être fait par la négative. Malgré tous nos efforts, nous n’obtiendrons jamais une indexation systématique permettant de couvrir toutes les facettes de la musique. Elizabeth Giuliani (BNF) le rappelait lors de la journée nationale des bibliothécaires musicaux du 18 mars 2002 : « Un classement est forcément un point de vue et donc est forcément imparfait ». Il nous faut donc pallier à ces imperfections, mais comment ?
L’utilisateur de l’OPAC peut donc accéder à la notice par trois biais, nous avons vu qu’ils sont insuffisants : les enregistrements de Bach comportent rarement le mot « baroque » sur la pochette du disque pourtant nous savons qu’il est intéressant de pouvoir faire une recherche sur le thème de la musique baroque [2], il nous faut donc créer un accès de ce type. Comme il n’existe pas dans les principes de classement, nous avons donc à trouver un moyen de l’intégrer à la notice catalographique du phonogramme. Une des propositions d’Alain Caraco est l’utilisation des résumés qui deviennent accessibles en recherche par « mots de la notice », mais pour la musique, le résumé semble inadéquat et risque de manquer d’objectivité en se changeant vite en « critique ».
L’indexation analytique des phonogrammes musicaux
Pour répondre à ces carences, plusieurs méthodes ont été mises en place. La première est une indexation alphabétique matière qu’elle soit RAMEAU, Blanc-Montmayeur ou CORAIL. Cette indexation utilise les champs UNIMARC 6XX. Le problème est dans les préalables posés par Martine Blanc-Montmayeur et par l’équipe RAMEAU de la BNF : « En règle générale, seuls les ouvrages documentaires relèvent de l’indexation alphabétique matière ». L’autre pratique utilise les champs locaux UNIMARC (champ 9XX) pour une indexation analytique qu’on ne peut plus appeler « matière ». Des témoignages me sont parvenus m’indiquant des panachages, une indexation faite d’un peu de Rameau, d’un peu de Corail tantôt en champ 6xx tantôt en champ 9xx selon les domaines. Preuve d’un malaise réel face à ce type d’indexation.
Intellectuellement et aussi « normativement » parlant, seule la deuxième solution semble bonne, car elle permet une indexation similaire à l’indexation matière sans pour autant enfreindre la règle générale précitée. Quel type de thésaurus devrions-nous utiliser ? RAMEAU, CORAIL ou un autre ?
RAMEAU tend aujourd’hui à devenir le standard de l’indexation alphabétique matière, est-ce une raison pour l’adopter ? Il a ses partisans et ses détracteurs, sans entrer dans leurs querelles, il semble que RAMEAU ne soit pas le système le mieux adapté à la description de la musique. Bien sur c’est un thésaurus évolutif comme tout bon thésaurus, mais il faut aussi s’interroger sur sa structure et de toute façon, utiliser RAMEAU signifie indexer par sujet. CORAIL, quant à lui a été crée par des discothécaires, nous pouvons donc penser que ce thésaurus serait plus proche de nos préoccupations. Quant aux autres thésaurus, ne sont-ils pas condamnés à disparaître du fait de leurs particularismes ?
On objectera qu’il peut être intéressant de mélanger des ouvrages « de » à la liste des réponses à une question « sur », mais est-ce intellectuellement raisonnable ? Est-ce un singularisme du mal parler du Nord mais nous avons suffisamment de gens qui nous demandent des disques « sur » les Beatles quand ils veulent écouter « Let it be » pour ne pas rajouter à la confusion des genres ? Comme je l’ai déjà dit : viendrait-il à l’idée de quelqu’un de mélanger les « Nouveaux mystères de Paris / Léo Malet » aux ouvrages documentaires sur le roman policier. Peut-on raisonnablement mélanger la chose et l’étude de la chose ? C’est un débat que l’on peut mener. Mais en préalable ne faut-il pas s’interroger sur le devenir d’un thésaurus matière utilisé de la sorte ? Quel sera le résultat des recherches matières face à ce mélange ? Comment réagira l’utilisateur qui cherche un ouvrage sur l’histoire de la musique baroque si cette réponse est noyée au milieu des pièces de Bach, Froberger, Vivaldi et consorts (pensez qu’une recherche à Jean Sébastien Bach uniquement dans notre catalogue donne déjà 350 réponses !)
Usage de l’indexation analytique
Les limites de l’indexation analytique se rapprochent de celles des autres accès. A savoir que cet accès n’est possible que via l’OPAC. Il faut donc que celui-ci soit suffisamment clair pour le public. A ce problème deux remèdes compatibles : la clarté du logiciel lui-même et le bon usage de celui-ci. Pour le logiciel, nous ne pouvons pas grand-chose à part faire le siège de nos fournisseurs pour qu’ils aillent dans le bon sens. Pour le bon usage de l’OPAC, c’est à nous d’œuvrer. Notre rôle n’est-il pas aussi un rôle de médiateur et de pédagogue ? Certaines bibliothèques ont déjà mis en place des formations destinées à leurs usagers afin que ceux-ci soient plus autonomes dans leur recherche.
On pourra aussi reprendre les arguments indiquant que l’indexation analytique est un surcroît de travail gourmand en temps. A ces objections, j’opposerai deux témoignages indiquant que, si la mise en place des thésaurus est longue, leur utilisation est aisée et rapide.
Le catalogage offre donc trois accès qui, s’ils se montrent insuffisants à répondre à toutes les requêtes possibles, n’en existent pas moins. Un thésaurus n’est pas isolé par rapport aux autres, il faut donc tenir compte des accès déjà fournis pour une notice avant d’en ajouter un. Si nous pouvons désormais admettre la nécessité d’une indexation analytique pour les phonogrammes, nous ne sommes pas pour autant débarrassés de tout écueil, ne faut-il pas se demander jusqu’où indexer ? Faut-il tout indexer ou non ? Si nous n’indexons qu’une partie de nos catalogues laquelle ? Peut-on légitimer un fonds plus qu’un autre ? Je pense que tout phonogramme peut être indexé en partant du principe que l’indexation analytique n’est qu’une indexation complémentaire. Mais il faut que les accès ne soient pas redondants entre eux car c’est dans le cas contraire que cette indexation est une perte de temps. A quoi sert de créer un accès analytique « sonate » alors que l’indexation systématique offre un accès à « sonate » en « 3.11 » ou que le titre uniforme offre, lui aussi, cet accès (ex : [Sonates. Claviers. BWV 963. Ré majeur]).
Dans la version 2002 des principes de classement, une foule de subdivision à été créée pour permettre une indexation systématique plus fine qui, de fait, éliminera le problème de l’accès à certains genres musicaux, restent ceux que les tables ne prennent pas en compte, comme la musique baroque. L’indexation analytique, qu’elle soit matière ou genre, n’a lieu d’être que si elle est un moyen d’accès complémentaire à la notice. A nous de faire en sorte que les recherches OPAC aboutissent. Il me paraît plus « honnête » d’offrir une ligne « sujet » réservée au document traitant d’un sujet (documentaire) et une ligne « genre » (ou autre chose si quelqu’un a une meilleure idée) pour accéder aux ouvrages sans caractère documentaire mais nécessitant un accès non développé par ailleurs.
A l’usage il apparaît que le réel problème posé par l’utilisation d’un thésaurus est sa pérennité. Non pas qu’il devienne désuet du jour au lendemain car un thésaurus bien géré sera évolutif, mais c’est son utilisation qui pose problème car d’un utilisateur à l’autre la description d’une musique peut être radicalement différente ; pour un type de musique on pourra avoir plusieurs descripteurs possibles : surf music ou pop californienne ? Opéra ou bel canto ? Musique de film ou bande originale de film ? La pérennité d’un catalogue passe avant tout par des règles d’utilisation strictes comprises et assimilées par tous les utilisateurs afin de limiter les distorsions.
Quelles perspectives ?
J’insiste sur l’urgence de la réflexion à mener sur l’indexation analytique des phonogrammes, celle-ci est indispensable et les pratiques doivent obligatoirement être uniformisées si nous voulons pouvoir aborder le vaste chantier du catalogage partagé ou de l’échange de données. Je pense que le moment est le mieux choisi car maintenant que les principes de classement des documents musicaux ont vu le jour, il serait bon de profiter de l’ouverture des chantiers de re-cotation pour faire d’une pierre deux coups. Il faut aussi considérer, que comme la BNF est en train de transformer sa base Opaline en Intermarc intégré, nous nous orientons vers des possibilités de récupération et d’échange de notices nouvelles et donc qu’il est plus qu’urgent d’établir des standards de catalogage et d’indexation (pour le moment, les documents audiovisuels de la BNF sont indexés matière en RAMEAU).
Il faut indexer nos documents, mais je ne pense pas que la confusion entre « genre », « forme » et « sujet » soit la meilleure solution. S’il est vrai que par le passé nos logiciels n’offraient d’autre place à une indexation analytique que l’accès matière, aujourd’hui les choses ont changé et UNIMARC nous offre des perspectives nouvelles. Nous pourrions même envisager la création d’un champ spécifique pour l’indexation analytique de la musique au sein du bloc 6. La création de ce champ permettrait d’uniformiser les pratiques car d’une part l’usage du bloc 9 peut se révéler peux aisé lors de transfert de données et d’autre part la création d’un champ spécifique permettrait aussi le mise en place d’une structure de vedette adaptée.
Quelle structure devons nous donner à cette « autorité genre musical » ?
La réponse peut nous être donnée par les actuels utilisateurs d’indexation analytique. Ceux-ci vivent et ont vécu les limites des systèmes actuels et peuvent donc parfaitement nous indiquer les éléments à garder, ceux à améliorer et ceux à créer. Les thésaurus existent (RAMEAU, CORAIL, et les autres) mais apparemment, ils ne fonctionnent pas correctement, bien que je n’ai pas assez de témoignages pour être très affirmatif. Les modes de fonctionnement de ces thésaurus sont-ils corrects ? Seul l’usage peut nous le dire. Il ne s’agit plus de bricoler avec les moyens du bord, nous avons montré que nous pouvions nous rassembler pour une œuvre d’envergure, pourquoi pas renouveler cette expérience ?
Reste le problème du vocabulaire. L’intérêt de RAMEAU est qu’il s’agit d’un thésaurus à évolution « modérée » (au sens Internet du terme). Cette modération permet de limiter l’expansion d’un thésaurus, de prendre le recul nécessaire pour étudier le bien fondé de la création d’un nouvel accès, surtout dans les « musiques actuelles » qu’en sera t-il dans dix ou quinze ans de toute la mouvance électro ? Qu’en est-il aujourd’hui de tous ces courants du rock progressif ? Il nous paraît aujourd’hui extrêmement important de subdiviser la techno, mais qu’en sera t-il demain ? Les demandes seront elles aussi pointues ? Je crois que comme pour RAMEAU, il nous faut des agents modérateurs capables de juger de la pérennité et de la pertinence d’un accès. De toute façon si nous créons un système de notice autorité analytique « genre » nous aurons la possibilité d’user et abuser des renvois, ce qui réglera par la même, le problème des appellations multiples cité plus haut.
Ce qui nous faut garder à l’esprit lorsque nous indexons c’est que ce que nous créons est un accès à une notice. Si rien ne sert d’ouvrir plusieurs fois la même porte, plus grave serait de créer une porte trop étroite. Par exemple créer une vedette de genre du type « Musique de chambre*baroque*Italie*violon*1751 » serait peut-être utile à un conservatoire, mais pour nous les généralistes de la profession n’est-ce pas trop détailler ? D’autant que les termes « violon » et « musique de chambre » peuvent être repris dans l’indexation systématique. Le terme « Stroll » dont peu de gens connaissent le domaine qu’il couvre, est lui aussi une porte étroite. Il vaut mieux soit fractionner et multiplier les entrées sur la notice (comme pour l’indexation systématique), soit renvoyer à un terme plus général mais plus parlant.
Comme pour le reste de notre travail, il ne faut jamais perdre de vue que l’indexation est une tâche dédiée. Ce travail doit permettre la mise en relation de l’usager et du document. Comme Dominique Lahary je pense que la priorité doit être l’accessibilité, ce qui ne peut être que le résultat d’un travail clair et ordonné dont la logique doit être comprise par tous. « Chaque chose à sa place et chaque place à sa chose » condition sine qua non d’une indexation pertinente qui permettra de faire aboutir une recherche mais aussi de rendre plus aisé le transfert de données.
[1] Pour les partitions, il me semble que bon nombre d’entres elles comportent des renseignements de contenu dans les titres ou les collections. D’autre part, leur utilisation est particulière, le public ne cherchera pas forcément une partition de la même manière qu’un enregistrement.
[2] Je prends l’exemple de la musique baroque car il me semble être parlant et durable, mais vous pouvez raisonner de la même façon avec d’autres genres musicaux non développés dans les principes de classement.