Discographie : Musiques méditerranéennes
Cette discographie sur les musiques méditerranéennes suit une logique géographique particulière. En effet, elle commence son voyage musical à Venise. Bien que n’étant pas sur la Méditerranée, Venise a la particularité d’être proche de Mare Nostrum et d’avoir des ressemblances avec celle-ci. Venise est une ville de confluences, de commerces, de raffinements et a une histoire chargée en tous points, au même titre que la mer qui nous occupe.
En partant de cette ville, et si l’on veut faire le tour du bassin méditerranéen, alors on est obligé de partir à l’est, où l’on peut croiser les différentes républiques de l’Ex-Yougoslavie, l’Albanie, la Grèce, la Turquie, Israël, l’Egypte, l’Algérie, le Maroc, l’Espagne et enfin Marseille. Marseille, comme Venise, Istanbul, le Caire ou encore Casablanca, est une ville de mélanges, marquée par les diverses migrations, les échanges commerciaux et culturels anciens.
Le choix des références s’est limité à des styles musicaux méconnus ou inattendus. Toutes les références sont bien distribuées. La discographie n’est évidemment pas exhaustive, puisque le sujet est éminemment vaste. Bonnes découvertes, bonnes écoutes.
ITALIE
« Abed Azrié : Venessia ». L’empreinte digitale 2000.
Les modes s’emmêlent et la tradition est respectée. La complexité rythmique et modale est telle qu’on ne sait plus qui des polyphonies ou de l’instrumentation est le plus présent. Toutefois, l’utilisation du vénétien et la voix, presque perverse, de Christiane Legrand nous rappellent le merveilleux talent d’Abed Azrié. Comme le dit Amin Maalouf : « Venessia, […], ville-femme, ville-déesse, ville-prostituée, chaînon de chair et d’or entre l’Orient et l’Occident ». « Venessia » est une œuvre lancinante, sensuelle et fascinante qu’on aurait tort d’ignorer.
CROATIE
« Dialogos : Terra Adriatica ». L’empreinte digitale 1999.
Où l’on constate que les échanges musicaux entre les deux bords de l’Adriatique furent féconds dès le XIIe siècle. C’est dans un voyage à travers les chants grégoriens et glagolitiques que ce disque nous emmène. Le glagolitique est une forme d’écriture introduite au IXe siècle dans les communautés slaves des Balkans pour les besoins de l’évangélisation. La ressemblance entre les chants italiens et croates est si frappante qu’on ne sait, parfois plus, en définir l’origine exacte.
SERBIE ORIENTALE
« Les bougies du paradis ». Ocora. Cop. 1992.
Ce disque de collectage aborde trois moments de la vie paysanne et musicale dans cette région particulière. Les collectages ont été opérés dans des villages Vlasi (nom donné aux habitants de la région) en 1970 et 1978 et ne concernent que les musiques de danse, de noce et rythmant la vie pastorale. On constate une vraie virtuosité des musiciens aussi bien dans l’improvisation que dans les morceaux normatifs, et ce, quelque soit l’instrumentarium.
ALBANIE
« Tirana, xhevhir : chants des minorités albanaises ». Iris 1999.
L’Albanie, « le pays des aigles », le pays de toutes les résistances, des chants épiques et héroïques. Mais aussi le pays de bektachis, cette communauté soufie considérée par ses adeptes comme un pont entre l’islam et le christianisme. Ici le chant prend toute son importance lorsqu’il rappelle la rudesse, la douceur et la fierté des montagnards xhevhir (de l’arabe : jawahir, le diamant). Il raconte l’histoire du peuple albanais et en transmet les facettes si particulières.
GRECE
« Niki Tromba, Ross Doly : At the café Aman ». Network 1998.
Niki Tromba, Ross Doly & Labyrinth interprètent un type de chant plus ancien que le rébetiko actuellement connu puisque leur répertoire est constitué de chants traditionnels greco-turques datant d’avant les bouleversements historiques qui nous interdisent tous parallèles entre la Turquie et la Grèce.
C’est pourquoi on remarque surtout les formes orientales dans la musique et dans le chant. Ici le bouzouki n’a pas sa place, puisque l’instrumentarium traditionnel est constitué d’un daf (tambour rond sur cadre), d’une cithare kanun, d’un oud et d’une vièle komânche.
TURQUIE
« Talip Özkan : l’art du tanbûr ». Ocora 1994.
Avec Talip Özkan on entre de plein pied dans la musique orientale et moyen-orientale puisque les référents sont déjà différents des nôtres, mais que l’interprétation reste très occidentale. En effet, dans le pourtour méditérranéen européen, on se réfère plutôt à des musiques citadines ou paysannes. Dans les deux cas, on a des musiques profanes ou religieuses. Et en Turquie toutes ces notions coexistent.
Le makam est une structure codifiée dans laquelle l’improvisation est libre et obligatoire. Il a été élaboré par une communauté mystique, mais ne peut être joué que dans un cadre profane. C’est dans cet art que Talip Özkan excelle avec son tanbûr.
ISRAEL
« Ora Sittner & Youva Micenmacher : chants hébreux d’Israël et d’Orient ». Al Sur 1995.
Ces enregistrements sont des réinterprétations de chants traditionnels et religieux hébreux sépharades et yéménites. La voix et la percussion se mêlent, dansent, s’éloignent et se mélangent. Même si l’interprétation semble prendre des libertés incongrues, la tradition est respectée puisque la codification de la musique de culte passe par les taamim qui ne fournissent que la courbe à la cantillation. L’interprétation est donc libre. La percussion utilisée est parfois un zarb, un bendir, un daf voire une jarre frottée.
Ce percussionniste nous interroge : jusqu’où peut-on dire en frappant ?
EGYPTE
« The Musicians of the Nile : Luxor to Isna ». Real World 1989.
Comme on le sait, les gitans viennent d’Inde. Entre l’Europe et l’Inde, il y a aussi l’Egypte. Ce disque est donc un disque de gitans d’Egypte. En Egypte, comme dans de nombreuses sociétés, la musique traditionnelle est interprétée par les ethnies minoritaires. Les musiciens du Nil interprètent des poèmes épiques d’influences soudanaise et syrienne. On retrouve la trace indienne essentiellement dans l’instrumentation (tablas) et dans le jeu des vents.
ALGERIE
« Alla : Foundou de Béchar ». AL SUR 1993.
En matière de musique traditionnelle du maghreb, un disque de soliste est une sorte d’hérésie. Mais Alla est un musicien particulier. En effet, puisqu’il est originaire de Béchar (Sahara, 900 km de la Méditerranée), il a un jeu particulier : une sorte de synthèse entre le jeu oriental et le jeu africain. Béchar est une ville proche du Maroc, Alla est donc très influencé par le melhoun marocain (poésie lyrique amoureuse). Son jeu à l’oud est extrêmement doux et raffiné, il échappe aux schémas de la musique arabe. L’espace d’Alla et de son oud est précisément celui du nomade…
MAROC
« Emil Zrihan : Ashkelon ». Piranha [2000].
Les musiques arabes et juives représentent des siècles de traditions musicales et poétiques, elles ont été puisées dans Al Andalus de laquelle émanait une inspiration créatrice qui s’est répandue dans tout le bassin méditerranéen.
Emil Zhrihan chante lors des offices religieux, sa voix de contre ténor a une portée vocale extraordinaire.
Ce disque comporte deux parties. La première se consacre à la pratique contemporaine au Maroc et la deuxième à la tradition judéo-marocaine, dans laquelle Emil Zhrihan excelle, puisque son étendue vocale est particulièrement adaptée aux mawals.
ESPAGNE
« Micrologus : Cantigas de Santa Maria ». Opus 111. 1998.
Les « Cantigas de Santa Maria » ont été conçues comme une offrande à la Vierge. C’est un ensemble de 427 compositions lyriques écrites sous le patronage d’Alphonse X Le Sage qui furent archivées à Tolède, Séville et Murcie. Elles témoignent de l’imaginaire de l’Espagne médiévale et sont considérées comme l’œuvre originelle des musiques chrétiennes d’Al Andalus. Elles sont donc proches des musiques sépharades du Moyen-Age. L’ensemble Micrologus utilise des répliques fidèles des instruments du Moyen-Age et s’appuie sur des recherches approfondies portant sur les sources et l’organologie spécifiques au Moyen-Age.
FRANCE
« Gacha Empega : Polyphonies marseillaises ». L’empreinte digitale 1998.
Marseille ! La ville de tous les mélanges. La ville française qui fait frontière avec toute la méditerranée. Ce disque, comme Marseille, est un chaud mélange épicé. La tradition est, encore une fois, matinée de modernité réussie. En effet, les polyphonies sont la forme traditionnelle des chants de travail. Gacha Empega est un groupe constitué de trois personnes qui chantent et qui jouent des percussions traditionnelles communes à tout le pourtour méditerranéen (tambourin et bendir). Par contre leur répertoire, bien qu’en langue provençale, est complètement d’actualité puisqu’il traite des quartiers Nord, du Cours Belzunce, bref de la vie marseillaise contemporaine.
discographie proposée par Arnaud Chepfer
Index
Al Andalus : Dénomination historico-géographique qui définit l’Espagne occupée par les Arabes. Cette contrée, qui couvrait une grande partie de la péninsule Ibérique, a favorisé l’essor de la civilisation arabe en la portant à son apogée, du Moyen-Age à la chute de Grenade en 1492. Elle était caractérisée par sa grande tolérance aux trois religions du livre, à la philosophie et aux musiques religieuses ou profanes.
Bektachi :
Ordre derviche connu depuis le début du XVIe siècle. La dernière confrérie de Bektachi a été supprimée en Albanie en 1957.
Bendir :
Grand tambour rond, à peau tendue sur cadre, caractéristique du monde méditerranéen et plus particulièrement du monde arabe.
Bouzouki :
Luth grec à caisse piriforme. Il occupe une grande place dans la variété grecque contemporaine.
Daf (= duff) :
Terme générique pour désigner le tambour sur cadre des musiques arabo-andalouses, avec ou sans cymbalettes.
Glagolitique :
Défini une écriture introduite au IXe siècle dans les communautés slaves des Balkans pour les besoins de l’évangélisation.
Makam (= maqam) :
Forme musicale à structure modale.
Mawal (= maoual) :
Forme vocale.
Malhoun (= malhûn ou malhoun) :
Poème lyrique marocain. Genre traditionnel populaire et urbain au Maroc. Son lien avec l’art arabo-andalou est de plus en plus admis.
Oud (= ud) :
Luth arabe à manche court et à caisse renflée de quatre à cinq double cordes, joué avec un plectre.
Rebetiko :
Sorte de bues des voyous grecs des années 20 et 30, joué dans les bars louches du Pirée. Souvent censuré et ignoré, il revient depuis les années 60.
Sépharades :
Juifs originaires du pourtour méditerranéen. Issus des Juifs qui durent quitter Al Andalus au XVe siècle à la chute de Grenade en 1492.
Soufi :
Courant mystique de l’islam né au VIIIe siècle.
Taamim :
Symboles de cantillation dans la Torah. Ils guident le lecteur (ou le chanteur) dans l’appropriation de la musique, ou dans le chant des mots dans la Torah.
Tablas :
Couple de percussions à caisses métalliques et à membrane de l’Inde du Nord.
Tambûr (= tanbur ou tanbûr) :
Luth à long manche, très utilisé dans la musique savante turque.
Kamantcha (= Kemantché, Kamamga) :
Vièle à trois cordes munie d’une caisse de résonance sphérique. Présente en Turquie, au Kurdistan, en Iran et en Afrique méditerranéenne.
Kanun (= Kanon, qanoun, quanun, qânûn) :
Cithare sur la table, montée d’une centaine de cordes, trapézoïdale, dont le chevalet repose sur une peau tendue. Les vibrations sont obtenues par des onglets métalliques fixés aux doigts. Présente au Proche et Moyen-Orient.
Zarb (= tombak) :
Tambour en gobelet fait en bois. D’origine iranienne.
Sources bibliographiques
« Les musiques de l’humanité/M.Malherbe et A. Rosa de Poullois ». Critérion, 1997.
« Percussions et rythmes du monde/T. Klöwer ». Binkey Kok Publication, 1998.
« Le dico des musiques/J.M. Leduc ». Seuil, 1996. Coll. Les dicos de Point Virgule.
« La musique arabe/H. Hassan Touma ». Buche Chastel, 1997. Coll. Les Traditions musicales.
« La musique arabo-andalouse/C. Poché ». Actes Sud, 1995 . Coll. Cité de la Musique.
« Le petit Mourre, dictionnaire de l’Histoire/M. Mourre ». Larousse, 2001.
« Le petit Larousse grand format ». Larousse, 1993.
CD-Rom Bibliorom.
Sites
allmusic
irma : glossaire des instruments de musiques traditionnelles.
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