Conservation et mise en valeur du patrimoine sonore

  • Par administrateur
  • 19 février 2002
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Le dilemme entre conservation et diffusion des documents

mis à jour le 17 mars 2oo2

Ce dilemme n’existe pas en bibliothèque publique le but est clair diffuser, nous sommes là avant tout pour faire connaître des musiques moins médiatisées. Notre vocation, c’est prêter et utiliser donc d’user.

Les bibliothèques de conservation ont un rôle autre : conserver ce qui veut dire acheter pour mettre dans des collections qui ne seront au mieux que consultable (c’est le rôle de la BNF, en tout cas dans les grandes lignes) dans ces bibliothèques. Si prêt ou usage il y a, c’est sous contrôle ou par un moyen visant à assurer la préservation des documents.

De ces deux pôles se dégagent deux modes d’équipement. L’un visera une possibilité de prêter le plus longtemps possible à un maximum de gens, l’autre visera la conservation le plus longtemps possible et de façon la plus intègre possible.

Aux premiers d’envisager la protection physique des parties les plus sensibles pour pouvoir assurer un grand nombre de prêts possibles. Et puis si le CD doit disparaître de nos rayons faute de pouvoir le remplacer ce n’est pas important.

Aux seconds d’envisager un équipement qui préservera le plus longtemps possible l’état du document. Si votre vocation est la conservation, envisager les copies avec les demandes de droits nécessaires, je pense que la Sacem ne fera pas barrage à la copie ponctuelle d’un document non disponible sur le marché. Vous conservez l’original dans vos salles prévues à cet effet et ne mettez à la disposition d’un public trié les copies de vos fonds (une fois les autorisations obtenues).

Nous avons là deux aspects différents du métier qu’on pourrait baptiser le bibliothécaire-médiateur et le bibliothécaire-archiviste, même si parfois c’est la même personne comme à Roubaix. Dans ce cas, il faut bien sur un double fonds, un pour le prêt, un pour les archives

Les bibliothèques musicales, dans lesquelles nous pouvons inclure les discothèques du réseau de lecture publique, ont donc une mission patrimoniale. Si celle-ci n’est en rien comparable avec celle des institutions spécialisées, ceci ne signifie pas que les autres bibliothèques sont de ce fait débarrassées de ce souci, en particulier pour les auto-produits locaux.

Si le dépôt légal est aussi une obligation pour les enregistrements sonores, nous savons que certains documents passent à la trappe et notamment les auto-produits. Or il semble que dans ce cas, notamment, le rôle de la discothèque locale est de diffuser les auto-produits mais aussi de le conserver. Donc si un document de ce type disparaît des rayonnages, c’est dommage ! Dans certains cas, la discothèque locale sera peut-être la seule à posséder ces documents. Ces productions devraient, si possible, être achetées en double (malgré les problèmes de budget) dans de nombreuses discothèques : un pour la conservation, l’autre pour la diffusion.

Les études concernant le patrimoine musical sont en pleine expansion. Comment envisager une étude de la vie musicale dans une région particulière si la bibliothèque ne peut fournir aucun document local car ceux-ci n’ont pas été (au moins un minimum) conservés.

Le Patrimoine musical au cœur de la bibliothèque musicale

De plus en plus les discothèques de lecture publique aspirent à devenir de véritables secteurs Musiques au sein de la bibliothèque. Un secteur regroupant toute la documentation musicale quel que soit le support : enregistrements sonores, livres, presse musicale, K7 vidéo, partitions…

Le patrimoine musical ne ferait-il pas partie de cette documentation musicale ?

Faut-il alors ne pas conserver des fonds de 33 tours (dont certains n’ont pas été réédités en CD et sont maintenant introuvables) ; se débarrasser pour les bibliothèques qui en possèdent des fonds musicaux écrits et imprimés anciens et etc … Ou faut-il au contraire se saisir d’une mission patrimoniale qui inclura de ce fait une mission de conservation même si l’on estime que la mission première de la discothèque est la diffusion ?

Chez nos voisins proches, il y a l’exemple du National Sound Archive à Londres (British Lib) qui considère que les enregistrements qui ont été fait régulièrement en 1950, 1970 et 1990 de la Gare Victoria (les dates sont approximatives) sont aussi du patrimoine sonore. Il n’y a pas que la musique.

Dans le même ordre d’idée, vous pouvez aller consulter le site de l’association Dastum qui recueille, comme son nom l’indique en breton, de la musique et des voix enregistrées en breton et « autour » de la culture bretonne. C’est un bel exemple de collectage de patrimoine sonore.

Un autre axe de travail pour les services documentaires des bibliothèques territoriales consisterait à prendre contact avec la production musicale. C’est peut être facile à dire quand on est dans une grande institution comme la BNF. Mais pourquoi ne pas travailler avec des créateurs et autres collecteurs de son pour capter des paysages sonores ou bien les façons de parler de votre coin ou encore aller enregistrer les gloires locales ? Qui se préoccupe des archives des radios locales ni d’ailleurs des archives audiovisuelles des universités ? Enfin pourquoi ne pas s’associer avec des éditeurs ou même avec l’institution scolaire pour produire des enregistrements qui constituerait un patrimoine sonore largement aussi passionnant que les labels locaux.

Et puis, si l’on garde des sons, même sous forme numérique, il faut bien sûr pouvoir les faire entendre, au moins sur place et en respectant les multiples contraintes juridiques (producteur, interprètes, auteurs…).
Quant au principe diffusion contraire de conservation, il ne faut pas être aussi catégorique sur ce point. Il est tout à fait possible de mettre en place des moyens de diffusion des documents prenant en compte leur statut patrimonial. D’ailleurs pourquoi conserverait-on, si ce n’était pas pour diffuser ? Il n’est pas besoin de conserver un patrimoine oublié de tout le monde et dont personne ne connaîtrait l’existence exceptée les bibliothécaires de la maison.

Un patrimoine vivant est un patrimoine exploité, accessible et diffusé. Outre permettre la consultation de celui-ci, des actions de valorisation sont indispensables.

Le rôle des tutelles

Comment une collection d’enregistrements peut devenir patrimoine sonore et musical ?

Tout simplement en arrivant à convaincre les décideurs institutionnels qu’elle mérite d’être conservée. L’expérience prouve qu’en France que ce n’est pas simple. Ayant eu récemment à réfléchir à cette question dans le cadre d’une formation pour le DEUST Métiers du Livre de Clermont-Ferrand, Antoine Provansal a conclu que les institutions documentaires audiovisuelles sont nées de la légitimation progressive au cours du XXe siècle du phonogramme en tant qu’objet documentaire (on peut l’utiliser comme objet de recherche en musicologie, sociologie, histoire, linguistique…), en tant qu’objet patrimonial (il faut conserver, au moins le signal, pour le transmettre aux générations futures) et en tant qu’objet culturel, (c’est-à-dire dont les bibliothécaires et les discothécaires doivent favoriser la diffusion dans toutes les couches de la population).

Le problème de fond est sans doute ici : convaincre les décideurs institutionnels. Gérer une collection patrimoniale demande du temps et des moyens de conservation dont les bibliothèques sont souvent démunies. Cela est peut-être dû au fait qu’il n’existe pas vraiment de politique patrimoniale à l’échelle nationale surtout dans le domaine de la musique.

Excepté l’article 8 de la Charte des bibliothèques qui réduit le patrimoine aux documents rares, anciens et précieux, quel autre texte fait référence en matière de patrimoine musical ? Quel texte est applicable au patrimoine sonore ?

C’est probablement à nous de réfléchir à ces problèmes et faire des propositions aux élus afin d’éviter de s’inquiéter de ce qu’ils vont en faire. Une attitude volontariste pourrait s’avérer payante.

Le travail d’inventaire et de catalogage est sans aucun doute le premier travail à faire. Mais, il faut aussi déterminer clairement à quel établissement sera confiée la collection. Cet établissement pourra peut être mettre en place un partenariat avec le CNR de la région pour
l’exploitation du fonds. Quant à des aides budgétaires, un conseillé du livre et de la lecture de la DRAC de votre région devrait être en mesure de vous en dire plus. Dans tous les cas n’hésitez pas pour l’exploitation du fonds à faire aussi appel à la BNF. Elle a aussi un rôle de conseil en ce qui concerne le patrimoine documentaire et sa conservation.

La conservation partagée, une piste à creuser

L’idée serait de procéder comme pour la conservation partagée des périodiques, c’est à dire de se répartir au sein de chaque région des classes ou genres musicaux à conserver. Les étapes possibles de la réalisation de cette idée seraient les suivantes : recensement de l’existant, réflexion et rédaction des politiques d’acquisition concertées, mise en place de pôles documentaires autour d’un genre ou plusieurs genres musicals, définir les procédures de désherbage

Avoir une politique d’acquisition concertée

Il semble que toute démarche de conservation doivent être précédée d’une réflexion sur une politique d’acquisition concertée, notamment dans le cadre de la mise en place de conservation partagée. Pour ceux qui se chargeraient de conserver le rock, ils se donneraient comme contraintes dans leur politique d’acquisition d’acquérir deux exemplaires d’un disque de rock : un pour le prêt et un pour la conservation partagée. A partir de la définition de pôles documentaires d’acquisition et de conservation, on pourrait mettre en place des protocoles de désherbage et l’envoi des documents pilonnés vers les lieux de conservation concernés.

Modalités pratiques

Les structures qui en auraient les moyens conserveraient un ou plusieurs genres, charge aux structures plus petites de leur envoyer les documents pilonnés en bon état pour un tri dans ce(s) genre(s). Des règles précises pourraient être établies pour éviter l’engorgement des établissements chargés de la conservation. Les BMVR, quand il y en a, pourraient jouer un rôle important dans ce domaine. Cela nécessite bien entendu une coordination préalable au niveau local et un accord des autorités de tutelle.

La conservation des documents sonores a ses règles propres qui devront être prises en compte. Outre les achats courants, une collecte auprès de divers organismes semble nécessaire et ce sans négliger aucun support : cassettes audios, vinyles et autres bandes sonores.

Au-delà du vœu pieu, cette action pourrait se mettre en place à l’initiative des bibliothécaires musicaux qui auront pu convaincre leurs responsables (conservateurs et élus).

Un outil de recherche et de recensement : Le Répertoire de l’AIBM

Le Répertoire des bibliothèques et institutions françaises conservant des collections musicales élaboré par le Groupe français de l’AIBM (Association internationale des bibliothèques,
archives et centres de documentation musicaux), est sorti au début de l’été 2oo1.

Il répertorie 1382 lieux en France métropolitaine et les notices signalétiques, qui lorsque les chiffres ont été communiqués, donnent une approximation de la nature et de la volumétrie
des collections musicales (sur toutes supports), sont complétés de nombreux index.

Ce Répertoire peut être acquis pour 230 F au siège du Groupe français de l’AIBM, 2 rue Louvois, 75002 Paris. L’ISBN est : 2-909327-03-5

Interventions de Emmanuel Carpentier, Valérie Orieux, Dominique Hausfater, Antoine Provansal, Paul Heems, Matthieu Sincey, Françoise Clément et Xavier Galaup ; mis à jour le 17 Avril 2oo2 à partir des réflexions émises lors de la réunion de l’association des discothécaires de l’Est du 4 Mars 2oo2