Fonctions des bibliothéques musicales
A l’heure des réseaux numériques, où des sociétés telles que Google ou Itunes se posent comme des « médiathèques universelles », redéfinir nos missions, nous amène à prendre un contre-pied tactique, en inversant la proposition, et en envisageant symétriquement la bibliothèque de demain comme un « opérateur local » proposant des services d’assistance, d’hébergement, et de fourniture d’accès à l’information en ligne.
Nouveaux services
Aucunement visionnaires, mais au contraire très ancrées dans le présent, les réflexions dévellopées ci-après, s’incrivent dans le cadre d’une pratique professionelle exercée dans une bibliothèque municipale d’une ville de taille moyenne. En effet, la Médiathèque de Dole va se doter fin 2006 d’un nouveau portail documentaire. Dans ce contexte, nous envisageons la mise en place de nouveaux services prenant en compte la musique numérisée en réponse aux nouvelles pratiques d’écoute. Nous avons ainsi définit trois projets à réaliser : une borne d’écoute des artistes locaux, une station de téléchargement de fichiers, l’abonnement à une bibliothèque musicale en ligne.
(mise à jour le 22 mai 2007)
I. Un service d’assistance
Il s’agit de faciliter l’accès de l’utilisateur à l’information, en le renseignant, en le conseillant, l’orientant, bref en l’accompagnant dans sa recherche. Jusque là, rien de nouveau, c’est un principe de base, presque le 1er commandement du bibliothécaire : « L’usager, tu assisteras » !
Mais aujourd’hui, accompagner les usagers dans leur recherche sur les réseaux suppose une formation toujours plus actualisée, plus diversifiée, plus hétérogène dans les connnaissances à posséder : en musique, en sciences de l’information, en technique informatique appliquée à la musique et au son.
a) Connaissances musicales Des connaissances de nature très différentes en rapport à la demande de l’usager :
Avec un auditeur : des différentes musiques, de l’édition phonographique, mais aussi avoir une connaissance sociologique de la musique (générations, populations…)
Avec un musicien ou un apprenti musicien : la prise en compte de la partie technique de la musique (le répertoire des différents instruments, leur tonalité, les différents types de partitions, le niveau d’étude…
Avec un élève ou un étudiant : dans le cadre d’un travail pédagogique, d’une recherche en musicologie, suppose une connaissance bibliographique de la musique, la connaissance des usuels, des catalogues, des bases de données…
b) Compétences documentaires
Repérer les ressources en ligne. Consacrer du temps à la veille documentaire. Devenir un « recherchiste » (terme en usage au Québec, à la place de celui de documentaliste).
Organiser l’accès à ces ressources, intégrer les nouveaux médias dans le catalogue à côté des media traditionnels (documents physiques).
Communiquer sur ce service d’assistance à la recherche. Mettre en place un guichet aux questions (par téléphone ou par courrier électronique).
(cf : La BPI et ses services à distance, BM de Lyon et son guichet du savoir http://www.guichetdusavoir.org/GdS/)
c) Connaissances informatiques et techniques
Le risque serait de mépriser la technique sous prétexte que l’on traite avec l’art, les lettres et la culture. Mais au contraire acquérir des connaissances de base concernant l’informatique et les techniques numériques appliquées au traitement du son et de l’image. Pour :
Être en mesure de conseiller les usagers sur le matériel, les logiciels, les formats, pouvoir leur apporter une aide, une assistance. Lutter contre la fracture numérique.
Jouer son rôle comme interlocuteur en participant à la définition, et l’évolution du réseau informatique et du système de gestion de la bibliothèque.
Utiliser les nouveaux outils et être producteur d’information et de contenu : pages web, bases de données, exposition en ligne. Il est intéressant que les petites structures apprennent également à devenir productrices. En captant les concerts ou les conférences pour en permettre ensuite la diffusion.
II. La bibliothèque comme hébergeur
Comment le concept de Web 2.0 peut nous aider à penser les nouvelles missions de la bibliothèque musicale ?
« Web 2.0 est un concept plus qu’un ensemble de préconisations techniques, c’est la reconnaissance du fait que le réseau Internet tirera tout son potentiel du réseau humain formé par ses utilisateurs. »
Le web 2.0 nous est présenté comme un nouveau réseau d’intégration sociale, où prime la fonction relationnelle.
Différences entre web traditionnel | et web 2.0 |
Encyclopédie en ligne type Encarta | Wikipedia |
Sites web format monographie | Blogs format périodique + forum |
Taxonomie Indexation Classement Répertoires | Folksonomie Tagging |
Pages statiques | Pages dynamiques |
En pratique, deux applications :
a) Un blog construit sur le principe d’un comité d’écoute.
Donner la parole aux emprunteurs.
Le bibliothécaire n’est plus le prescripteur, ni le guide mais l’animateur, le modérateur d’une communauté formée par les utilisateurs de la bibliothèque.
Feedback. En quelque sorte, un club de lecteurs. Plusieurs médiathèques ont déja lancé leurs blogs.
Quelques exemples de blogs de bibliothèques :
Mediamus, le blog des bibliothècaires musicaux de la Médiathèque de Dole
http://mediamus.blogspot.com//
De la musique avant toute chose, le Blog des bibliothécaires musicaux de la Ville de Grenoble
http://www.siem-grenoble.info/-De-la-musique-avant-toute-chose-.html/
Discobloguons, espace musical d’un discothécaire
http://discobloguons.blogspot.com/
b) Un catalogue sur le modèle du site Amazon
« Lorsque l’on consulte la référence d’un ouvrage chez Amazon, on voit quels autres ouvrages ont « intéressé » (la mesure de l’intérêt étant réelle : l’achat) ceux qui ont acheté l’ouvrage en question » (cf. La bibliothèque du futur, le futur de la bibliothèque). Toujours sur le site d’Amazon, les acheteurs publient des billets dans lesquels ils donnent leur avis. »
Le portail de la Médiathèque de Dole permet aux usagers faire des commentaires sur les disques et les livres qu’ils ont emprunté.
http://www.dole.org/mediatheque/
Comment gérer cette démocratie participative ?
Sommes-nous prêt à entendre la contradiction sur un forum public ?
Sommes-nous prêts à partager le pouvoir de décision ? L’institution Bibliothèque sous l’autorité de ses « hiérarques » et de ses « édiles » (selon l’expression chère à Michel Sineux) peut-elle accepter facilement la libre expression sur ses supports de communication ?
III. La bibliothèque comme fournisseur d’accès
a) Google et Itunes fossoyeurs des bibliothèques musicales ?
Illusion trompeuse d’un guichet unique concernant la recherche et l’accès à l’information musicale. La recherche documentaire musicale suppose encore de disposer d’outils multiples.
Aucun moteur de recherche à volonté globalisante ne saurait aujourd’hui prétendre à l’exhaustivité et à la pertinence de ses résultats concernant une recherche quelque peu consistante. Google est sans doute très performant pour la recherche d’une information factuelle, mais se révèle médiocre pour l’accès à la source, au document primaire. Car le document primaire est soit caché dans le web invisible soit protégé par le droit d’auteur (Cf le service Google Print qui permettrait une recherche en texte intégral sur l’intégralité du corpus des ouvrages imprimés disponibles n’est pas accueilli avec le même enthousiasme par tous les éditeurs). Jusqu’à quand ?
b) Fournir des accès ou L’art de composer un bouquet
Dans ce sens, la bibliothèque musicale à une opportunité comme un portail, proposant un arsenal de bases de données, de dictionnaires, d’encyclopédies, de documents, de programmes adaptés à la diversité des demandes du public.
Repérer et évaluer les nouvelles ressources et les nouvelles offres d’un point de vue de leur légitimité dans le cadre de la bibliothèque, en considération de la satisfaction des demandes et des besoins des usagers.
Il y a parfois de la suffisance chez les bibliothécaires qui se proclament facilement prescripteurs du bon goût et du bon usage. Il existe un fâcheux écart entre les usages prévus et supposés, et les usages réels, le public s’appropriant toujours différemment les ressources mises à sa disposition.
Il paraît donc nécessaire d’évaluer non seulement la qualité d’une ressource payante (abonnement CD-ROM, accès base de données…) proposée par la bibliothèque mais également l’usage effectif de cette ressource par le public.
c) La bibliothèque comme centre d’information musicale régionale
Une prise en compte par la bibliothèque des ressources musicales dans son environnement local. Repérer et relayer l’information émanant des centre d’enseignement et de formation, de l’édition, des salles de spectacles, des associations, des artistes, des commerces, des fabricants… « Tu t’informeras pour l’usager pouvoir renseigner (peut-être le 2ème commandement !)
IV.Une borne d’écoute des artistes régionaux
a) Une démarche s’inscrivant dans un projet régional
Les bibliothécaires musicaux des bibliothèques territoriales (BM et BDP) de Franche-Comté ont constitué un groupe de travail afin de mettre en commun l’information sur la vie musicale en Franche-Comté. Cette action est organisée sous l’égide de l’agence régionale de coopération ACCOLAD.
Déjà en fonctionnement :
une liste de diffusion à l’usage des discothécaires franc-comtois
un répetoire des acteurs de la musique en Franche-Comté : musiciens, salles de concert, labels, associations….
http://www.acim.asso.fr/article.php3 ?id_article=165
MusiqueFC, un blog participatif ouvert aux bibliothécaires musicaux travaillants dans les BM et les BDP de Franche-Comté http://musiquefc.over-blog.com/
b) Des initiatives similaires déjà en place
Le Cylindre (salle de musiques actuelles de Larnod, près de Besançon) propose les soirs de concert une borne d’écoute pour faire découvrir les groupes régionaux. Le site du conseil général du Doubs a ouvert une page gérée par l’infographiste « La boîte à musiques ».
Un répertoire de fiches artistes du département du Doubs http://www.doubs.fr/boitemus/
La bibliothèque de Limoges propose en ligne un juke-box virtuel
http://www.lemusicbox.bm-limoges.fr/
Le réseau des radios suisses RSR a mis en place depuis septembre 2006 une plate-forme de promotion des musiciens et des groupes suisses : http://www.mx3.ch/. Une action ambitieuse qui pourrait être prise pour modèle à l’échelle régionale.
c) Valoriser un travail de veille, de conservation et de diffusion
La médiathèque de Dole depuis 3 ans a constitué un fonds de conservation de la production discographique locale afin de la faire connaître à ses usagers. Aujourd’hui la collection est constituée de 200 titres.
Le projet est de numériser cette collection pour en proposer la consultation sur un ordinateur multimédia. (Des fichiers compressés en mp3 à 128 Kb/s, soit au final, environ 12 Giga octets) Ce sera aussi la possibilité de proposer la diffusion de musique non éditée, comme les maquettes, les disques auto-produits, etc.
Le choix du logiciel permettant de présenter les fichiers MP3 ainsi que les informations relatives aux artistes reste encore à déterminer.
Rappel : les accords négociés entre la SACEM et l’ABF concernant la diffusion de la musique dans l’espace des bibliothèques autorisent la mise en place de ce type d’installation. www.abf.asso.fr/IMG/rtf/sacem2501.rtf
Suppose de demander l’autorisation des artistes par la signature d’un contrat.
V. Une station de téléchargement de fichiers audio-numériques à la disposition des usagers
a) Légitimer cette pratique dans les murs de la bibliothèque
Le téléchargement de musique sur Internet fait aujourd’hui l’objet d’une sur-médiatisation, il est au centre de toutes les attentions. Pourquoi ne pas apporter une réponse raisonnable et appropriée à ce fait social, et considérer le téléchargement comme un service parmi d’autres qu’une bibliothèque peut assurer. (Au même titre que l’imprimante, la clé USB est un périphérique qui permet d’enregistrer la copie d’un contenu documentaire).
Il ne s’agit pas seulement de répondre à une attente manifestée par un public adolescent converti au MP3. Même si ce sont eux qui souvent en formule le plus la demande. Au delà l’aspect générationnel de cette mode, on doit être attentif à ce nouveau mode de diffusion de la musique. La bibliothèque doit inscrire l’offre de téléchargement légal comme une partie intégrante de sa politique documentaire.
La médiathèque de Dole propose depuis le début de l’année 2007 un service de téléchargement de fichiers audios et vidéos libres et gratuits.
La procédure indirecte telle qu’elle est actuellement en place n’a pas vraiment rencontrée l’adhésion du public. Nous réfléchissons dans les prochains mois à la mise en place d’une station de téléchargement sur laquelle l’usager serait véritablement autonome (sur le modèle de la burnstation.
Pour en savoir plus
b) Sélectionner une offre de qualité et la promouvoir
Faire un travail de sélectionneur, en évaluant des ressources très diverses :
Les plateformes de musique libre
Sites musicaux sous licence libre dont Creative Commons
Dogmazic
Jamendo
(ce dernier site peut poser problème, car il nécessite l’utilisation du logiciel BitTorrent, logiciel d’échange de fichiers en Peer-to-peer.).Il faut prévoir un dispositif technique de téléchargement qui garantisse un usage strictement légal de ce service.
Les conférences sonores
Proposer une station de téléchargement, c’est permettre également à l’usager d’avoir accès à différentes ressources de télé-enseignement comme des audio-conférences.
Dans le domaine du savoir musical, plusieurs sites institutionnels proposent des ressources sonores très précieuses :
>L’encyclopédie sonore http://e-sonore.u-paris10.fr/e-sonore/,
>Diffusion des savoirs de l’Ecole Normale Supérieure http://www.diffusion.ens.fr/,
>Les séminaires du CDMC http://www.cdmc.asso.fr/
Le podcasting ou balladodiffusion
Enfin la bibliothèque doit prendre en compte également le phénomène du podcast apparu l’an dernier en France. A côté des traditionnelles chaînes de radio qui se sont lancées dans l’aventure (Radio France, Europe 1, RTL…), on assiste à l’émergence de nombreux podcasts amateurs assimilables à des blogs sonores.
Quelques annuaires de podcasts francophones : podblaster
http://podemus.com/
http://www.touslespodcasts.com/ http://www.podlog.fr/fr/index.html
Aujourd’hui l’offre d’émissions musicales en podcast est encore limitée sur les radios françaises. Une raison liée au droit d’auteur. voir l’article : « L’actualité musicale et discographique en podcast »
http://www.acim.asso.fr/spip.php ?article174
VI. Un abonnement à une bibliothèque musicale en ligne
a) L’exemple de Naxos Music Library
http://www.naxosmusiclibrary.com/
Possibilité de se faire une idée du produit en cliquant sur « free 15-minute preview » (aperçu gratuit de 15 minutes).
Ce service en abonnement permet à plusieurs utilisateurs de se connecter simultanément à cette bibliothèque musicale en ligne et de pouvoir écouter l’un des 16000 disques du catalogue Naxos. Ce qui représente environ 230 000 pistes audio disponibles. Ce service est utilisé par plus de 750 bibliothèques à travers le monde (bibliothèques de conservatoire, universitaires ou publiques)
Le coût d’abonnement est proportionnel au nombre de licences d’utilisateurs. A titre indicatif, pour un abonnement d’un an avec une licence pour 5 utilisateurs simultanés, le coût sera de 750 €. C’est Abeille Musique [1] qui gère quelques mois les abonnements à la Discothèque Naxos.
b) Avantages et opportunités d’un tel abonnement
Le nombre important d’enregistrements, dans une base documentaire très structurée
Les multiples options de recherche :
· Soit par l’index des compositeurs avec pour chacun un classement des œuvres par genre,
· Soit par mot clé : n° de catalogue, mot du titre,
· Soit dans un formulaire de recherche avancée : nom du compositeur, du librettiste, du soliste, du chef d’orchestre, de l’orchestre, de l’ensemble instrumental ou vocal, du genre de l’instrument, de la période esthétique, du pays, dans une fourchette chronologique, par climat, par humeur.
Un lien avec la musique imprimée : Naxos a développé un partenariat avec la société SheetMusicNow qui propose en téléchargement 15 000 partitions.
(http://www.sheetmusicnow.com/)
Un accès en ligne à tout moment, après s’être identifié par son nom et son numéro de carte de lecteur.
>Pour la bibliothèque pas d’investissement matériel.
Un outil très approprié : · A la pédagogie musicale (écouter l’œuvre que l’on doit travailler)
· A la recherche musicologique (écouter l’œuvre pour l’analyser)
c) Limites et contraintes
Une collection spécialisée en musique classique
Même si les pages d’accueil ont été traduites en français, la majeur partie des ressources dont les notices biographiques sont encore en anglais. Cela dit, les amateurs de musique classique sont habitués à manipuler des éditions internationales.
Difficile de prévoir le succès d’une telle offre qui sera peut-être sous-utilisée, ou sera source de frustration par la limitation du nombre simultané d’utilisateurs, et la mise en file d’attente des utilisateurs surnuméraires .
Même si Naxos, a une image très établie sur le marché du disque classique, il ne possède pas ou très peu d’enregistrements de références tels qu’on pourrait en trouver par exemple chez EMI Classics, Deutsche Grammophon). Toutefois, Naxos agrège à son catalogue de nombreux labels (les catalogues complets des labels Bis, Chandos, CPO, Hänssler, Hungaroton, Marco Polo, Naxos et une sélection d’enregistrements d’autres labels indépendants comme Alpha, Gimell et Wergo).
A noter : Il existe d’autres offres similaires ou complémentaires à celle de Naxos Music Library, citons par exemple Classical music online http://www.classical.com/ (existe depuis 1999) a été racheté en 2004 par Alexander Street Press : Music online for music libraries
http://www.alexanderstreetpress.com/products/mopl.htm
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[1] Abeille Musique Consultants et Diffusion
5 Passage Piver – 75011 Paris
Tél : 01.76.70.39.21.
Email : naxosdiscotheque@abeillemusique.com