La musique a-t-elle encore sa place dans les médiathèques ?

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  • 4 octobre 2006
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Introduction Arsène Ott (Président de l’ACIM – Bibliothèque Municipale de Strasbourg)

L’intitulé de l’atelier « la musique a-t-elle encore sa place dans les médiathèques » reflète une inquiétude partagée par un grand nombre de professionnels de l’information musicale. En même temps le caractère provocateur d’une telle entrée en matière est là pour nous amener à être nous-mêmes, à nous affirmer dans nos rôles et nos missions.
Nous avions pris l’habitude de voir la musique prendre place en bibliothèque à travers divers supports physiques ainsi que tous les services ou les échanges que l’on a pu décliner autour d’eux (consultation sur place, prêt, information aux usagers, organisation des collections, actions culturelles, etc.), un certain nombre de bibliothèques ont ainsi connu une sorte de croissance confortable.

Aujourd’hui les possibilités d’accès aux contenus musicaux, disponibles entre autre via Internet, suscitent de nouveaux modes d’appropriation. Ces nouvelles pratiques, dans leur mise en œuvre, ne nécessitent plus le rapport physique de l’information à un espace ou un temps donné, pas plus qu’ils ne sollicitent la présence des individus en un lieu et un temps donné. Le contenu musical échappe à l’idée d’ici et maintenant. Il s’agit là d’une liberté d’accès à l’information musicale sans précédent, liberté qui ne doit pas pour autant masquer ou effacer d’autres usages, plus rebattus sans doute, mais tout aussi essentiels.

Si ces nouvelles pratiques culturelles liées à la musique ont surtout concerné jusqu’ici les individus dans la sphère privée, on peut penser qu’il n’y pas encore eu d’équivalent à un tel essor dans la sphère publique qui est la nôtre. A l’exception peut-être d’un certain nombre de projets initiés par des éclaireurs ou des explorateurs de l’information musicale. Est-ce que cela veut dire pour autant que la musique n’a plus sa place en bibliothèque ?
Rappelons que ce décalage est lié en partie à la difficile adaptation de nos institutions judiciaires à ce nouvel environnement technologique. Ce retard, voire cette absence de cadre juridique, ne favorise pas la mise en place de nouveaux services. En même temps il serait ridicule, dans la précipitation, de vouloir redoubler une offre musicale déjà disponible sur Internet.

La question essentielle est donc à la fois de savoir comment inscrire de façon significative ces nouveaux usages dans le champ d’action des bibliothèques, tout en mettant en avant ce qui fait notre singularité. Bref de ne pas perdre la face (c’est aussi ça l’échange, la provocation…), alors même que nous essayons de construire une nouvelle offre documentaire dans le domaine de la musique et de perpétuer les missions de service public qui sont les nôtres.

Pour cela reprenons ci-dessous, dans leur ordre de succession, les quatre interventions, ainsi que des extraits du débat public :

- I. Les bibliothèques pourront-elles s’adosser au cadre juridique (projet de loi DADVSI) afin de développer de nouveaux modes d’accès à la musique ? (Yves Alix)

- II. L’offre musicale en bibliothèque à l’aulne des services offerts par les plates-formes de téléchargement payant (Julien Ulrich)

- III. Médiathèques et musiques sous licence de libre diffusion : une convergence d’intérêts ? (Dana Hilliot)

- IV. Impact des nouvelles technologies sur la place de la musique dans les médiathèques (Gilles Rettel)

- V. Débat avec le public

I. Les bibliothèques pourront-elles s’adosser au cadre juridique (projet de loi DADVSI) afin de développer de nouveaux modes d’accès à la musique ? / intervention d’Yves Alix (rédacteur en chef du Bulletin des Bibliothèques de France)

Remarque d’introduction d’Yves Alix : « Les bibliothèques actuellement ne relèvent pas d’un cadre juridique particulier. En matière de propriété intellectuelle au moins. »

La loi DADVSI : pourquoi ?

1 – Un texte redondant et inutile :

L’arsenal juridique était déjà largement suffisant pour lutter contre la copie illicite. L’utilité principale du texte serait donc de légitimer les mesures de protection et de permettre de poursuivre les personnes qui contournent, en particulier du côté des logiciels libres.
De ce point de vue on peut s’attendre à un résultat mitigé : les vrais pirates vont continuer d’être insaisissables, la responsabilité des fournisseurs d’accès n’est toujours pas mise en cause.
De fait la loi [qui n’était pas encore votée au jour de la table ronde] ne légalise pas le téléchargement P2P, elle n’introduit pas de licence (ni globale ni optionnelle), mais elle réprime. Même si cette répression est impossible, car le téléchargement ira se réfugier ailleurs.
Par contre Yves Alix rappelle que les mesures techniques de protection sont dangereuses si elles empêchent les usages autorisés et si elles permettent d’imposer des standards, au bénéfice de certains opérateurs dominants (c’est tout le problème de l’interopérabilité et des logiciels libres).

2 – Une question beaucoup moins juridique qu’économique

« En fait ce débat général est la rançon ou le signe de l’importance essentielle prise par les biens immatériels dans la société contemporaine, dite ‘société de l’information’ » Yves Alix se référant à l’analyse d’Emmanuel Pierrat.
Le coût de reproduction et de distribution d’un fichier numérique étant nul, le système optimal, pour les économistes, est celui où chaque fichier musical ou vidéo est diffusé gratuitement et le financement assuré par un droit fixe, une taxe ou un abonnement.

3 – Une manifestation supplémentaire de la course inégale entre le progrès technique très rapide et le cadre juridique qui est d’abord un cadre social

L’objet du droit c’est de permettre aux citoyens de vivre en société, en assurant l’égalité devant la loi et un équilibre satisfaisant entre les droits et les devoirs.
« La loi s’épuise toujours à vouloir rattraper la pratique sociale ».

Quel est le rapport au droit pour certains usages dans nos sociétés ? La valeur symbolique des biens, l’idée de bien commun, l’idée d’accès légitime à tout ce qui n’est pas explicitement verrouillé… ou encore quel est le désir aussi de profiter des failles du système ?

Nous sommes face à « une situation en cours de redéfinition : l’adaptation du droit d’auteur, fondé sur le support, à la circulation immatérielle des œuvres. » L’histoire du droit de propriété est un peu particulière. Son principe a émergé au 18è siècle et a été fixé à la Révolution, non sans être contesté auparavant (Condorcet) ou bien après (les projets de 1936).

Une notion fondamentale : le monopole d’exploitation.

Ce monopole est fondé sur le support. En effet la représentation ne se fait jamais à partir de rien. On négocie à partir d’un support original – le manuscrit, la bande mère, le négatif, etc. – qu’on peut retenir. Le droit patrimonial assure un profit, il permet de vivre de son œuvre proportionnellement à son usage. Le droit moral, plus tardif, assure le contrôle de l’intégrité de l’œuvre. Contrairement à ce qu’on croit parfois, il ne s’oppose nullement à la transformation et à la réutilisation de l’œuvre : les adaptations et arrangements relèvent du droit patrimonial.
Le principe est que tout est retenu, donc contrôlé : la représentation, la reproduction, la circulation des reproductions, les utilisations secondaires. A cela deux conditions : la ‘traçabilité’, maintenir un équilibre entre la proportionnalité et le forfait, en fonction des conditions réelles d’utilisation.

Ce qui créée un malaise aujourd’hui, c’est précisément « la dilution / disparition du support physique, les nouveaux modes de consommation, très paradoxaux : éclatés, individualisés, mais en même temps communautaires. »

« L’irruption du numérique change tout. La nouvelle donne du numérique c’est la dilution de l’original, la copie illimitée, sans distinction entre le princeps et les copies qui vont suivre. »

Nous avons donc un édifice ébranlé par le développement de la copie : les cassettes, puis les vidéos, la photocopie et l’irruption du numérique qui change tout.
La nouvelle donne du numérique c’est la dilution de l’original et la copie illimitée. Yves Alix cite Lawrence Lessing, juriste américain, pionnier des licences Creative Commons : « Il est dans la nature des technologies numériques que tout usage entraîne une copie de l’original (lire un livre ne crée pas de copie) ».
Nous sommes ainsi face à un paradoxe : « l’extension de la réglementation sur le copyright a été contrebalancée par une diminution tout aussi radicale de son efficacité. Les technologies ont été conçues pour générer des copies parfaites, elles ne l’ont pas été pour permettre la mise en place d’un contrôle sur ces copies. » Lawrence Lessing.

C’est donc une nouvelle économie de l’usage des biens culturels qui se développe, fondée sur la circulation de copies immatérielles et non plus sur des supports. Mais dans ce nouveau modèle, si la diffusion n’est pas contrôlée dès le départ (vente ou location, dans des lieux contrôlés), c’est le modèle de la dissémination qui s’impose très vite et le système sur lequel on vivait vole en éclats.

« Or la loi DADVSI continue de s’appuyer sur ce modèle, en croyant pouvoir contrôler puis réduire la dissémination – et transposer, au sens propre, à l’univers d’Internet le système du monopole contrôlé – alors qu’il faudrait prendre acte du nouveau modèle économique et adapter la loi en conséquence, par exemple en généralisant la pratique de l’accès, c’est-à-dire du forfait. « 

4 – Le cadre juridique actuel

Un point fondamental, il n’y a pas actuellement de cadre particulier pour les bibliothèques publiques. Le cadre du CPI (code de la propriété intellectuelle) est celui du droit exclusif, négociation contractuelle.
Les seules exceptions consenties sont liées à la représentation privée, la copie privée réservée au copiste et non destinée à une utilisation collective, la parodie, la courte citation, incluant la revue de presse.
« Pour la musique en bibliothèques actuellement, ont est dans une situation où le prêt de livres de musique ou de partitions est aujourd’hui encadré par la loi sur le droit de prêt du 18 juin 2003. Le prêt de CD n’est pas concerné puisqu’il n’a pas été mis en œuvre dans le cadre de cette loi. Le prêt des vidéos se fait dans le cadre des négociations directes ou bien dans le cadre de négociations par des intermédiaires spécialisés qui donc gèrent l’achat de droit pour les bibliothèques.
Tout ce qui est utilisation de la musique sous la forme de diffusion dans les lieux de la bibliothèque relève de la représentation et se trouve géré dans le cadre de contrats passés avec la SACEM. » « En principe, il n’y a donc pour la bibliothèque aucune copie possible, même pour la conservation, sauf si elle est autorisée explicitement par un contrat. »

5 – Réflexions sur le cadre juridique à venir

Dans la transposition française de la directive européenne 2006 il faut noter l’absence de licence légale. « Le téléchargement d’œuvres protégées sans garantie de la licéité de leur origine devient explicitement illégal. Ce qui n’était pas le cas dans le cadre de la propriété intellectuelle, car vous savez que ‘dans le droit ce qui n’est pas écrit n’existe pas’. »
Un système de contraventions sera mis en place, mais les contrevenants seront impossibles à détecter sans la surveillance par les fournisseurs d’accès Internet des abonnés. Même chose dans le cas de l’acte de mise à disposition d’autrui (upload), qui pourra certes être détecté, mais la mise en place d’un réseau de contrôle sera coûteuse. Par contre le téléchargement pourra se déplacer vers les systèmes cryptés et anonymes, interdisant la détection.
Si le risque pénal très faible, le système est non dissuasif, son effet peut être radical pour la mise de logiciels P2P qui eux connaîtraient de fortes sanctions pénales. D’où les protestations des éditeurs de logiciels libres : le P2P n’a rien en soi d’illégal ! Autres aspects de la loi : « la légitimation des mesures techniques de protection (DRM) dont le rôle est : « d’empêcher ou de limiter les utilisations non autorisées ».
Par ailleurs nous avons également la mise en place de « l’obligation de garantie de l’interopérabilité, qu’il sera difficile de mettre en œuvre ».
« Mise en place d’un collègue de médiateurs de 7 personnes chargées de juger les litiges sur la copie privée et de définir son étendue ».

« Pour les bibliothèques, un fait nouveau : l’introduction d’un régime d’exceptions spécifiques ». Elles sortent ainsi du droit commun.

- Des possibilités limitées de copies spécifiques par les bibliothèques et organismes documentaires. La rédaction du texte demandera dans le futur un ensemble de précisions pour pouvoir être appliqué.

- Une exception pour les handicapés.

- Une autre pour l’enseignement et la recherche, élargissement du droit de citation.

- Des dispositions régissant le droit d’auteur des agents publics.

6 – Le caractère particulier lié au droit de copie :

La notion de copiste est fondée sur l’arrêt Rannou Graphie de 1982. On y considère que la personne qui met à disposition le matériel et les fournitures est un co-copiste. Le copiste et l’usager doivent être une seule et même personne (ou une seule et même famille), CC 1984.
La numérisation est une reproduction soumise à autorisation : arrêt Brel TGI Paris
1997.
Limites de la copie privée du support (cf. arrêt Mulholland Drive de la Cour de Cassation, février 2006) : « la copie privée ne constitue qu’une exception légale aux droits d’auteur et non un droit reconnu de manière absolue à l’usager ».
Le téléchargement est considéré comme une copie privée : la confirmation du
caractère illicite de la remise à disposition (jurisprudence TGI Vannes avril 2004)

Quel sera le cadre précis des copies spécifiques prévues par la loi DADVSI ?

- Paysage en matière d’offre légale : des sites payants de streaming et de téléchargement, des sites de vente en ligne, des webradios, webtélés, podcast… etc.
- Evolution attendue en dehors des sites officiels et de l’offre légale : développement des blogs, des sites personnels, du P2P, des réseaux, des communautés, ainsi que des possibilités de développement d’offres via les licences Creative Commons.

- En matière d’offre publique faut-il s’attendre à une mise en œuvre élargie du droit de prêt, institué pour le livre depuis 2003 ? Qu’en sera-il du « prêt virtuel », des catalogues enrichis, de la consultation de fonds numérisés ? Il semble que la réponse à ces questions ne pourra se trouver que dans le cadre de la négociation contractuelle, d’accords cadres et de consortiums, et qu’il faille réfléchir ou développer des scénarios de mutualisation.

7 – La mort du droit d’auteur ?

Le droit d’auteur est mis à mal par :

- Les stratégies des grands groupes qui cherchent à passer en force. Par exemple : l’opt-out de Google pour la numérisation des documents des bibliothèques. Si les ayants droit refusent, on arrête. Mais tant qu’ils ne se manifestent pas, on numérise.
- L’irresponsabilité des FAI qui constitue un frein majeur au contrôle des œuvres ou peut-être, a contrario, un gage de liberté.

- L’acceptation sociale du téléchargement : Internet chez soi est assimilé à une utilisation privée. La différence entre communautaire et collectif marque une véritable antinomie entre les utilisateurs libertaires (qui peuvent être très engagés civiquement, et respectueux du droit, par ailleurs) et les tenants de la propriété intellectuelle. Communautaire s’entend au sens s’Internet (des communautés informelles, adhérentes à des valeurs communes et créatrices de règles informelles), alors que le droit ne connaît que collectif, comme opposé à individuel.

En conclusion

Dans quel cadre les bibliothèques pourront-elles faire « demain des copies, dans la mesure où la copie est devenue un mode de circulation naturelle et même dominant, et peut-être après demain exclusif des œuvres. »
« Le dernier état de la question, c’est que la personne qui met à disposition le matériel et les fournitures est co-copiste. Donc quand une bibliothèque prête des disques elle est co-copiste si la personne qui emprunte fait des copies. »

Il faut réfléchir à une nouvelle économie de la musique. Elle ne peut être que multiforme. Elle doit prendre acte de la généralisation de la circulation immatérielle, de la consommation individuelle et atomisée, de la dilution de la notion d’œuvre. On est dans une lutte d’intérêts très puissants. Et les plus puissants ne sont pas les créateurs de contenus, ni les fournisseurs de contenus, mais les fournisseurs d’accès, de tuyaux. Les intérêts économiques en jeu dépassent largement les industries culturelles. On peut penser que les politiques, dans le débat, n’ont pas osé trancher. Ils ont
maintenu l’ancien système mais ne lui ont pas donné les moyens de se perpétuer vraiment.
Par ailleurs on peut regrettera aussi une autre forme de frilosité ou d’aveuglement : le piratage n’empêche pas le développement du e-commerce, la diversification des modes de consommation s’amplifiera. Autant de raisons qui militaient pour une solution qui aurait non pas cherché à éradiquer le piratage, mais à en neutraliser les effets. Mais pour imposer la licence globale, il fallait avoir assez de force pour l’imposer à la fois aux représentants des auteurs, des industries culturelles, et aux FAI. Ce qui voulait dire qu’on garantissait la traçabilité (ce qui n’est pas le cas) et qu’on faisait payer la licence aux FAI (ce qui était vraiment déterrer la hache de guerre industrielle.)

II. L’offre musicale en bibliothèque à l’aulne des services offerts par les plates-formes de téléchargement payant / intervention de Julien Ulrich (Directeur Général VirginMega – http://www.virginmega.fr/)

Julien Ulrich a tenu à rappeler que les sites de téléchargement payant étaient loin d’être « l’autoroute » du téléchargement. « L’autoroute c’est le piratage ». Pour 1 milliard de titres téléchargés en 2005, la somme des plates-formes de téléchargement légal ne représente que 20 millions de ces titres.

VirginMega est la deuxième plate-forme de téléchargement légal en France, derrière Itunes avec 5 millions de titres vendus en 2005.
La plate-forme annonce à ce jour la possibilité de télécharger 1 million de titres musicaux, mais aussi des vidéos, un service de billetterie, un espace mobile (logos, sonneries, jeux…), un service de tirages photos et prévoit dans le futur des abonnements en ligne (son, image), mais aussi un service de presse magasines à partir du mois de juillet.

Les DRM

Julien Ulrich insiste sur le fait que « les DRM c’est pas le diable », il dénonce également un mythe selon lequel « les DRM seraient une atteinte à la vie privée. »
Le système des DRM « nous permet à nous distributeurs de délivrer des droits que les éditeurs de contenu ont voulu donner sur les offres ». VirginMega ne fait que transmettre les informations, les DRM étant là pour en restreindre les usages.
Il ne faut pas plus croire que les informations collectées puissent partir vers Microsoft. Le garant de cette sécurité étant précisément VirginMega.
La plate-forme serait tout à fait en mesure de permettre le téléchargement de titres sans avoir recours à des mesures de protection liées au nombre de copie privées, au téléchargement sur disque dur… etc.
Dans le cas d’abonnement en ligne certaines mesures de protection pourraient être mises en place afin de limiter le droit de consultation à 48 h, une semaine ou plus, en ligne ou à partir d’un disque dur… etc.

Le lien avec les bibliothèques :

« On peut très imaginer un système avec les DRM où une bibliothèque en ligne vous permet de prêter un fichier à une personne pendant une semaine, et tant que cette personne a le fichier, personne d’autre ne peut y accéder. On peut exactement reproduire en ligne les systèmes de prêt. » On y rencontrera l’ailleurs les mêmes problèmes puisque les DRM sont « craquables ».

L’intérêt de VirginMega n’est pas de restreindre les utilisations possibles des données téléchargées, mais plutôt de permettre que les consommateurs puissent écouter leur musique sur les lecteurs de leur choix.
« Nous ce qu’on voudrait c’est pouvoir offrir aux utilisateurs la possibilité de lire la musique sur les appareils de leur choix, dans les conditions déterminées par les éditeurs de contenu qui encore aujourd’hui dictent leur façon de faire.

Afin de clarifier les choses dans ce domaine Julien Ulrich a tenu à signaler qu’« Aujourd’hui, sur la chaîne de valeurs, d’un point de vue assez personnel, il y a quelques morceaux de l’industrie qui se sucrent sur le dos des éditeurs de contenu : les opérateurs télécom, les fabriquant de baladeurs et d’appareils de musique. »
Dans le même d’idée il a tenu à rappeler que les abonnements Internet à très haut débit, qui favorise le piratage, répond plus à une stratégie commerciale des opérateurs qui donnent accès à Internet, qu’à un besoin réel de leurs clients. En ce qui concerne les fabriquants de baladeurs, bon nombre de leurs produits ne permettent même pas de lire la musique téléchargée légalement. En clair « Ces gens n’ont pas intérêt à ce que l’on développe ni l’interopérabilité, ni des offres de DRM. »

Sur l’ensemble de ces questions Julien Ulrich a tenu à rappeler au nom de Virgin Mega « qu’on se bat aujourd’hui pour continuer à exister, on a des marges extrêmement faibles, on est des marchands, on fait vivre les éditeurs de musique et donc les artistes », et que par conséquent leur façon d’envisager les choses était entièrement conditionnée par la société marchande, même s’ils ne sont « pas là que pour vendre Madonna et Johnny, on continue tous les jours à faire évoluer la profondeur de notre catalogue. »

De ce fait, VirginMega, pourrait très bien envisager dans le futur le développement d’un service d’abonnement musical en ligne à destination des bibliothèques. La technologie existe aujourd’hui « elle marche et elle est simple », même s’il ne s’agit pas de porter « un jugement sur la capacité juridique à le faire. »

III. Médiathèques et musiques sous licence de libre diffusion :
une convergence d’intérêts ? / intervention de Dana Hilliot (musicien, fondateur du micro label Another Record http://www.another-record.com/)

Danan Hilliot indique d’emblée qu’il « aime beaucoup parler de mondes de la musique au pluriel ».

La conférence proposée par Dana Hilliot est « issue de discussions initiées au sein de l’association musique-libre.org, propose des pistes de réflexions sur la manière dont ces acteurs de la musique, sur la base d’intérêts convergents, pourraient collaborer de manière plus approfondie. »
D’ailleurs, à ce titre, Dana Hilliot signale qu’il ne lui est pas possible d’aller sur le site de VirginMega lorsque l’on est sous Linux.

1° Les médiathèques à l’ère du renforcement de la législation sur les droits d’auteur : une position intenable ?

Dana Hilliot met en avant le fait que « L’usager qui emprunte un disque peut, s’il a le matériel et les compétences adéquates, en réaliser une ou plusieurs copies. Dans le cas où la musique gravée sur ce disque relève du régime du copyright strict, tout laisse à penser que des copies illicites soient réalisées.
De ce point de vue, la situation juridique des médiathèques fait débat au moins tout autant que celle de certains réseaux de diffusions sur le web. Il est évident que certaines musiques mises à disposition dans les médiathèques seront inévitablement copiées et diffusées par le biais des réseaux peer-to-peer. »
Même s’il est évident que dans ce débat ce ne sont pas les médiathèques qui ont été prises pour cible. D’autant plus qu’avec l’instauration des DRM, les risques de copies illicites liées à l’emprunt d’un disque compact en médiathèque seront de plus en plus limités.
« Emprunter un disque ne pose pas de problème à condition qu’il soit impossible d’en réaliser une copie. »

Dana Hilliot rappelle qu’il fait partie d’une génération qui a « largement profité des possibilités offertes par les bibliothèques publiques en réalisant des copies des enregistrements » qu’il avait emprunté. A l’époque on n’était pas considéré comme « pirate » et une redevance sur les supports enregistrable était supposée compenser les pertes des maisons de disques.
A ce sujet il souligne : « Je crois qu’à ce sujet il faut être clair, et résister à la tentative de culpabilisation dont les mélomanes font l’objet : le seul argument qui tienne dans le soi-disant débat sur le droit d’auteur dont on nous rebat les oreilles actuellement, c’est l’argument économique. Si l’industrie du divertissement souhaite verrouiller la circulation des oeuvres soumises au copyright, sur internet et ailleurs, ce n’est pas en raison d’un amour soudain pour les artistes qui sont liés par contrat avec elle, ni en raison d’une passion soudaine pour la chose juridique, mais parce qu’elle en quelque sorte acculée, mécaniquement, à développer de nouvelles sources de profit, et, qu’à ce titre, internet constitue un nouveau marché, désormais mûr après l’explosion du haut débit dans les pays occidentaux – et un nouveau marché ne peut être laissé en friche trop longtemps. » Il fait à ce sujet référence à l’ouvrage de Florent Latrive ‘Du Bon Usage de la Piraterie’.

Il a souligné a plusieurs reprises la proximité de nos missions respectives : « Je crois que les médiathèques constituent, pour l’usager, des sources inépuisables de culture, à laquelle tout un chacun peut s’abreuver pour une somme modeste. Les réseaux P2P, Internet dans son ensemble, leurs sont comparables de ce point de vue. »

2° Une autre manière de concevoir la dissémination de la musique

Dana Hilliot, dans sa démarche, défend « une pluralité de pratiques musicales ». Il rappelle, face à la place prépondérante de l’industrie du divertissement, l’existence « des espaces pour le silence, et pour des événements sonores réalisés indépendamment des circuits de production et de diffusion gérés par le marché. Si on parvient à mettre entre parenthèses ce poids économique, on s’aperçoit bien vite que, malgré leur discrétion, des pratiques alternatives existent bel et bien, et couvrent, du point de vue cette fois-ci « artistique », un éventail sonore et musical infiniment plus riche et plus varié que celui couvert par le catalogue des Majors. »

« Si le marché du disque et son cortège de professionnels (producteurs, artistes, distributeurs, journalistes, disquaires, juristes etc…) figure en quelque sorte la grande route, pour reprendre une métaphore utilisée par Lacan dans un tout autre contexte, celle qu’il est difficile d’ignorer, il existe néanmoins de nombreuses petites routes : certaines permettent éventuellement de rejoindre la grande route – on parle alors d’artistes en voie de professionnalisation ou émergeant – , d’autres au contraire sont à vrai dire à peine des routes, parfois des chemins de traverse… ». Il nous alerte également sur la vision réductrice qui se cache souvent derrière les qualificatifs « pratiques amateurs » ou « artistes émergeants ».
Or la richesse est ailleurs : il se caractérisent par leur « organisation en réseau, une mise en commun des moyens et des compétences, une solidarité des artistes entre eux (l’un invite l’autre à se produire lors d’un concert, et l’autre l’invite en retour une autre fois), l’esprit Do It Yourself et collaboratif (fabrication des supports, réalisation des sites web, organisation d’événements). » Leur modèle économique repose sur la dimension réduite de ces activités : « on limite le nombre de tirages pour chaque enregistrements, on effectue les ventes directement sur le net, ou à l’occasion de concerts, on essaie de se passer des intermédiaires traditionnels (distributeurs, managers, tourneurs, disquaires), etc… »

Dans ce petit monde qu’il compare à une ruche les « acteurs ne sont pas plus sympathiques que la moyenne : mais ils travaillent – sans attendre de rémunération -, ils travaillent à créer, produire et défendre des oeuvres musicales qui de toutes façons n’intéressent pas l’industrie du divertissement, et de ce point de vue constituent assurément les véritables garants de la diversité musicale et culturelle. »

L’intérêt des licences de libre diffusion pour les médiathèques

Présentation à titre d’exemple des licences Creative Commons.
« Ces licences précisent quels usages de l’oeuvre sont autorisés ou non. Elles constituent un complément au droit d’auteur, lequel conditionne par défaut toute reproduction ou représentation des oeuvres à l’autorisation de l’auteur ou des ayants droits (en général : les maisons de disque). Les licences de libre diffusion prennent appui sur la loi, qui accorde aux auteurs, tant qu’ils n’ont pas cédé leurs droits patrimoniaux à un tiers, un monopole exclusif sur leurs oeuvres, et leur permet de consentir à l’avance si j’ose dire, a priori, à certains usages : en premier lieu, la copie, la reproduction, la représentation. »

Ces licences permettent une « dissémination » de la musique auprès des mélomanes, ceci indépendamment des grands médias et sans être soumis à des impératifs de rentabilité. Si les copies sont autorisées, voire même souhaitées, cela doit se faire dans un cadre non commercial.

Comment font les musiciens pour vivre de leurs créations ? « Et bien pour le moment, nous gagnons de l’argent en vendant des disques : aussi étrange que cela puisse paraître, certains mélomanes, soit parce qu’ils sont attachés à l’objet disque, soit parce qu’ils veulent contribuer à l’activité de l’association, achètent de temps en temps un disque, et bon an mal an, cela fait 5 ans que ça dure dans le cas d’Another Record, et force est de constater que nos caisses sont suffisamment remplies pour envisager chaque année de nouveaux projets. »

Plutôt que d’avoir un a priori défavorable envers tout ce qui serait issu des majors, Dana Hilliot indique que « la chose qui m’importe c’est qu’aux côtés de la grande route que creuse à coup d’explosifs dans le paysage l’industrie du divertissement subsistent ces petites routes et ces sentiers que je viens d’évoquer. »

Convergence des intérêts des artistes sous licence libre et des médiathèques

a) l’intérêt juridique : proposer des usages licites

« Un catalogue accueillant des enregistrements sous licences libres est délivré de toute ambiguïté juridique : la copie étant autorisée a priori, l’usage qui pourrait être fait de la musique gravée sur ce disque à la sortie de la bibliothèque par l’usager ne fera plus l’objet d’un soupçon. On peut même espérer qu’un disque emprunté dans une médiathèque essaime à partir de là, que la musique circule en aval : c’est là l’intérêt de l’auteur, d’une part, et, d’autre part, une conséquence conforme au principe qui légitime l’existence des médiathèques publiques : faciliter l’accès à la culture pour tous. »

b) l’intérêt artistique : garantir la diversité créative

« Ces musiques sous licence libre, qui échappent en général au marché du disque, ou n’y pénètrent que par la pointe des pieds, couvrent de facto des aspects de la créativité musicale qui n’ont pas quasiment plus leur place chez les disquaires (réels ou online) : quand les fonds des médiathèques accueillent ces enregistrements méconnus, ils s’enrichissent du même coup et se diversifient. »

c) l’intérêt social : rapprocher les artistes et les mélomanes

« La raréfaction des intermédiaires dans le monde des pratiques alternatives de la musique a déjà pour effet de modifier la relation du public aux artistes – j’aime à dire que les labels indépendants ont les auditeurs qu’ils méritent : des mélomanes plutôt que des consommateurs ou des usagers. L’artiste n’est plus cet être d’exception inaccessible et rare, mais peut être éventuellement celui-là que vous croisez dans les rayonnages des bibliothèques. »
L’enjeu serait que les médiathèques puissent « devenir, non seulement des lieux de circulation et de dissémination de musiques discrètes, mais également de véritables partenaires de la création et des artistes. »
Ex. collaboration entre la grande médiathèque de Toulouse avec le label ‘Unique Records’ dans le cadre du forum des alternatives.

Quelques pistes à explorer :

- Initier ou développer des rencontres entre les acteurs de la musique sous licence libre et les responsables des médiathèques.

- Instaurer une signalétique informant les usagers de leurs droits sur les oeuvres qu’ils empruntent. « Pour les disques sous licence de libre diffusion, on peut imaginer un sticker Creative Commons ou Licence de libre diffusion (…).On pourrait aussi se contenter d’introduire dans les outils de recherche un critère « licence de libre diffusion ». » Il serait plus discutable de vouloir regrouper au sein d’un bac réservé les disques issus de labels indépendants et sous licence libre. « Une licence est un outil, et ne dit rien de la valeur esthétique d’une oeuvre. »

3° les médiathèques et Internet :

« De nombreux enregistrements d’artistes indépendants ne font plus l’objet aujourd’hui d’une gravure sur un support solide, mais sont simplement diffusés sur Internet sous forme de fichiers numérisés. Les médiathèques devraient-elles d’adapter à cette réalité, et proposer un catalogue numérisé, et pas seulement des disques ? Ont-elles vocation à proposer des services en ligne, à l’image des plates formes de téléchargements qui se développent sur Internet ? Mais ne risquent-elles pas en s’engageant dans cette voie faire simplement double emploi avec les outils existant déjà sur le web ? L’investissement nécessaire en vaut-il la peine ?
La médiathèque n’est-elle pas d’abord un « lieu », un certain espace au sein de la cité, propice aux découvertes et aux rencontres ? En se dédoublant en quelque sorte, sous la forme d’une entité immatérielle, sur Internet, ne risque-elle pas de perdre cette qualité spécifique : la création de liens sociaux autour des oeuvres ? »

Conclusion provisoire :

« Nous avons souhaité, en tant qu’artistes diffusés sous licence libre, mélomanes, et usagers des médiathèques, engager une discussion au sujet de l’avenir de la diffusion des musiques que nous aimons. Plus que jamais les médiathèques nous apparaissent comme un des lieux qui garantissent au sein de la cité la diversité musicale et un accès à la culture pour le plus grand nombre. Plutôt que de céder au pessimisme quant à l’avenir devant les récents projets de lois visant à restreindre la circulation de la musique, nous pensons au contraire qu’ils sont l’occasion d’une responsabilisation des mélomanes, des médiateurs et des auteurs.
Les menaces juridiques qui pèsent sur la mise à disposition d’oeuvres enregistrées pour le public, pourraient bien finalement créer l’opportunité d’une nouvelle alliance entre les acteurs des mondes la musique. »

IV. Impact des nouvelles technologies sur la place de la musique dans les médiathèques / intervention de Gilles Rettel (musicien, formateur, chargé d’enseignement – http://www.msai-formations.com/)

1 – Introduction

Les nouvelles technologies et en particulier le réseau Internet perturbent de façon extrêmement profonde et durable le secteur de la musique. Nous vivons une violente période de remise en cause d’un équilibre qui s’était patiemment construit sur les supports physiques.
On peut sans doute parler de changement de paradigme. En voici une illustration parmi d’autres : la gestion de disponibilité du temps remplace la gestion de la disponibilité financière.
Dans ce nouvel environnement la musique a-t-elle encore sa place dans les médiathèques ?
Pour apporter quelques pistes de réflexion c’est l’angle technologique qui sera largement privilégié ici. J’évoquerai tout d’abord les conséquences des avancées technologiques et en particulier le réseau Internet sur 2 aspects des missions des médiathèques : la conservation et la diffusion
Ensuite j’essaierai d’avancer quelques pistes pour l’avenir.

2 – Conservation

Un point absolument essentiel de l’émergence des nouvelles technologies est la multiplication des phonogrammes. Elle s’explique par des raisons économiques techniques (coût d’enregistrement, informatique, home studio, etc.) et de diffusion (Internet).
Cette multiplication des phonogrammes s’accompagne de la multiplication des supports :
· Support audio : CD audio, DVD audio, SACD, etc. · Support de données : DD, CD-R, DVD-R, mémoire flash (clé USB, carte Compact Flash), etc. Elle s’accompagne également de la multiplications des formats : AAC, mp3, wma, ogg, wav, etc.
Pour lier tous ces éléments (phonogrammes, supports, formats), je propose d’introduire la notion « d’adhérence ». L’adhérence traduit la force de la liaison entre un phonogramme et un support. Elle est maximale sur un vinyle et minimale dans le cas d’un téléchargement sur un réseau P2P.
Les canaux de diffusion d’un phonogramme se sont aussi multipliés.

Que faire face à cette avalanche de phonogrammes ? Doit-on tout acquérir ? Doit-on tout archiver ? L’exhaustivité est impossible mais il est aujourd’hui impossible de se contenter des seuls supports physiques et des circuits de diffusion « classique » sous peine de passer à côté de phonogrammes importants et donc de manquer aux missions des médiathèques.

Le dépôt légal des sites web pourrait-il tout régler ? Il est prévu dans le projet de loi DADVSI. La réponse est non car le dépôt ne peut pas être exhaustif :
· Il n’est pas prévu pour le monde entier (.fr).
· Le web n’est pas figé, il évolue tous les jours · Il n’est pas adapté au secteur commercial.

De nombreuses questions se posent sur cette acquisition de phonogrammes sur Internet :
· Conservation dans le temps des phonogrammes récupérés (disque dur, DVD, etc.).
· Qualité du son : mp3 vs SACD/DVD-Audio. · Problème de droits.
· Problème des marchés publics (achat de phonogrammes sur Internet).
Les mêmes réflexions pourraient s’appliquer aux vidéos.

3 – Diffusion

Quels types de diffusion sont possibles pour les phonogrammes acquis dans les médiathèques hors du prêt classique physique ? Diffuseront-elles uniquement ce qu’elles ont en fond propre ? Il est clair que les nouvelles technologies peuvent faciliter l’accès à la culture pour tous : écoute sur place, en ligne, streaming on demand, téléchargement temporaire, définitif. Il y a évidemment des problèmes de droit.

Quelques exemples concrets de ressources en ligne :
· Dastum ; · Université de Californie, Santa Barbara.
· Médiathèque de l’Agglomération Troyenne (MAT).

Datsum et USCB diffusent, de façons différentes, des fonds propres. Ce n’est pas le cas de la MAT. Cela pose me semble t-il 2 deux problèmes majeurs :

1. Dépendance de la base de données sur des phonogrammes uniquement commerciaux 2. Quelle différence par rapport aux services déjà existants (Napster To Go ou Pass Musique de SFR , etc.) ?

On voit clairement, sur les exemples précédents, apparaître des différences relatives entre les structures sur les missions : patrimoine, sauvegarde, accès à la culture pour tous.

4 – Pistes pour l’avenir

Quel avenir pour les supports ?
Les supports ne disparaîtront sans doute pas totalement mais il existera probablement un effet de seuil dépendant du rapport entre phonogrammes sur Internet et sur support. Des grosses différences peuvent apparaître suivant les genres musicaux. Il existera sans doute plus de support dans la musique classique à cause de l’objet et de la qualité audio du support SACD. Certains éditeurs phonographiques valorisent déjà largement l’objet support.

Quelles seraient les nouvelles missions pour les médiathèques ?
Les pistes sont déjà assez connues : conseil, accompagnement, formation, recherche d’information, animation, exposition, etc. On parle en général de médiation et ces nouvelles missions sont orientées vers le renforcement du lien social. « Les bibliothèques ont un petit peu pris le relais des centres culturels » Irène Boisaubert de la Bibliothèque Landowski à Boulogne-Billancourt. Certaines compétences locales sont à valoriser : acquisition des autoproductions locales, mise en place de démothèques.
Ne risque t-il pas d’y avoir compétition avec d’autres acteurs ? Il y a un subtil équilibre à trouver entre des actions très « physiques » (démothèques) et d’autres totalement électroniques (écoute à distance). Le maillage important des médiathèques est un atout important. Si le contact direct avec l’usager devait être appelé à s’estomper, l’avenir de la musique dans les médiathèques serait très sombre.

Par rapport à la multiplication des phonogrammes, on voit mal comment les médiathèques pourraient opérer autrement que par mutualisation :
· mutualisation de la numérisation des phonogrammes ; · mutualisation des phonogrammes collectés ; · mutualisation des notices ; · mutualisation de la diffusion.

Cela va totalement dans le sens de la structure et des usages d’Internet en particulier ce qu’on appelle le web 2.0. Ces mutualisations peuvent s’organiser autour de pôles de compétences (partage pour les autres par réseau) par exemple sur une esthétique. C’est sans aucun doute un grand bouleversement qui se prépare dans les médiathèques.

5 – Conclusion

La musique a-t-elle encore sa place dans les médiathèques ? Quelque soit la réponse à cette question ce ne sera pas un problème technologique.
Les usages futurs seront des comportements équilibrés par les technologies et le droit.
Quels seront les usages de demain ? Difficile à prédire, mais c’est en tout cas une raison de plus pour être actif et de défendre ses convictions.

V. Débat avec le public

Question n° 1 :

« Quand on voit l’explosion de la production musicale, si l’on cherche
à sortir des critères de sélection dits « commerciaux », comment
fait-on pour définir de nouveaux critères ? Les bibliothécaires
sont-ils les mieux placés pour le faire ? Ou alors existe-il un
système de présélections qui permet de se repérer dans cette offre ? »

Réponses…

… de Gilles Rethel : « Il n’y a pas de filtre parfait. Un des
caractéristiques du web c’est qu’il n’y a plus de filtres. Par
conséquent c’est vous le filtre. Je pense qu’il n’y a pas d’autre
solution pour les bibliothèques que de se regrouper en pôles de
compétences sur des thématiques définies, tout en faisant de la veille
documentaire. Exemple un groupe de 4 à 5 bibliothèques en France
s’occupe du reggae, un autre de la musique classique… etc. »

… Dana Hilliot : « Les critères de jugement au sein de communautés
d’internautes fonctionnent de manière horizontale et non plus
verticale. (…) On n’a pas besoin d’un grand autre pour se donner le
droit de diffuser nos œuvres. »

Remarques dans le public :

« On a pu constater que le bibliothécaire se trouve lui-même en
situation de critique. Il a donc besoin de formation, mais cette
formation il faut aussi la vouloir. » (cf. certains stages proposés
qui ne trouvent pas preneurs)
« Les filtres manquent peut-être, mais il y en a un certain nombre que
l’on ne connaît pas. Il y a des revues sur Internet, il y a de la
critique qui existe dans un certain nombre de domaines de ces musiques
peu diffusées ou mal connues. Ces informations existent, il faut avoir
la curiosité d’aller les chercher. » Si dans la presse littéraire la
critique est étagée entre les magasines spécialisés et les magasines
grand public, « en musique les grands magasines sont tous des
magasines commerciaux. »

… Dana Hilliot signale le rôle de médiation et de promotion que
peuvent jouer les blocs à condition de savoir les identifier.

… Gilles Rettel signale également les nouveaux outils à venir, entre
autre le web 2.0.

Question n° 2 :

« Quel est l’intérêt pour VirginMega de vendre des droits aux bibliothèques ? »

… Julien Ulrich : « Je ne sais pas s’il y a un intérêt. Je suis venu
ici parce qu’on a un métier et que je voulais avoir des échanges avec
vous. (…) Tout ce que je peux vous dire c’est que nous ne sommes pas
une association, nous sommes un marchand, notre but c’est de gagner de
l’argent. Ce que je sais c’est que nous j’ai une plate-forme et je
sais comment faire pour développer un certain nombre d’outils. Est-ce
que vous en avez les besoins ? Est-ce que moi c’est un business qui
m’intéresse, je n’y ai pas réfléchi. »

« J’aurais aimé savoir ce que vous pensez de la possibilité de donner
accès au public à l’intégralité du fonds sonore d’une médiathèque ? »

Réponses :

… Gilles Rettel « Le problème c’est quelle numérisation ? Est-ce que
toutes les médiathèques vont faire les mêmes numérisations ? C’est là
qu’on voit tout de suite qu’il faut mutualiser. On ne va pas s’amuser
dans chaque bibliothèque à numériser tout le fonds de catalogue pour
moi ça n’a aucun sens économiquement. C’est là qu’on retrouve la
solution d’un catalogue qui serait mutualisé. Est-ce que ça doit être
fait par les bibliothèques ? Est-ce que ça doit être un prestataire
extérieur ? C’est plutôt ça la question. »

… Dana Hilliot « Je ne vois pas l’intérêt de numériser des documents
qui sont sur VirginMega. Par contre numériser de documents dans le
domaine public, des trucs qui sont pratiquement introuvables : ça oui ! »

Question n° 3 :

« Est-ce que vous voyez un avenir au CD audio ? »

Réponses :

… Gilles Rethel « Personne ne peut savoir. Il me semble qu’il va y
avoir des effets de seuil. Ou bien on passe en dessous d’un certain seuil, le CD risque de devenir de la niche marginale comme est le
vinyle aujourd’hui. Ou bien ça continuera à perdurer. Il est évident
que les éditeurs doivent faire un effet sur la présentation (cf.
collection jazz BD). L’impact ne sera pas le même sur la musique
classique que sur la musique électronique »

… Yves Alix : « Si je peux donner un avis strictement personnel, je
suis un fétichistes de l’objet. Donc je veux avoir un objet et pas un
fichier. »

… Julien Ulrich : « Nous marchands on imagine pas que le CD va
disparaître. (…) Il y aura coexistence encore pendant très longtemps.
Pour les raisons données par Yves Alix, mas aussi pour les raisons
que, oui Internet se répands dans les foyers, mais on est pas prêts
d’avoir la majorité des gens qui écoutent de la musique depuis leur
ordinateur. »

Question n° 4 :

« La caractéristique d’Internet c’est précisément de ne pas se
déplacer. (…) Le problème des médiathèques c’est avoir un public. Quel
est l’intérêt d’aller en médiathèque pour écoute de la musique alors
que l’on peut le faire sur Internet chez soi ? »

Réponses :

… Gilles Rettel : « Les gens ne viendront pas pour écouter s’il n’y a
pas d’accompagnement, d’animations, du conseil personnalisé, c’est
clair ça ne sert à rien. Tant que l’on a des abonnés physiques ou
attachés à un territoire on peut encore appréhender les choses, mais
que se passera-t-il si les abonnés sont en Patagonie ? Il faudra faire
de la médiation sur Internet, et il va falloir aussi développer des
compétences sur les sites Internet. »

… Yves Alix : « On peut en effet se demander si le public ne va pas
fuir. Je n’ai pas la solution, mais il faut trouver le moyen de le
faire venir dans les espaces publics. Car pour moi un monde où on se
retrouverait chacun chez soi devant son Internet c’est un monde de
cauchemar »

… Pierre Tribalier (médiathèque de Hyères) : « Pour c’est pas une fin en soi de maintenir l’existence des discothécaires. Ce qui serait
grave ce serait la disparition d’un accès démocratique à la musique et
aux autres musiques qui ne sont pas matraquées à longueur de temps par
les grands médias. (…) La meilleure réponse que l’on puisse avoir
c’est d’animer, de faire des contre propositions dans les
collections. »

Question n° 5 :

« Est-ce que le modèle du prêt de fichiers avec des DRM par conséquent
chrono dégradables (cf. expérience menée à Troyes) (…), je me demande
si ce modèle là est bien le modèle adapté à l’heure où l’on a plus de
8 millions de personnes qui téléchargent des contenus audiovisuels sur
Internet gratuitement et à long terme ? »

Réponses :

« Le service proposé est un service en concurrence avec des services
commerciaux. Je ne pense pas que ce soit le modèle de l’avenir, mais
on est dans une phase où il va falloir expérimenter et voir ce qui est
faisable. »

… Julien Ulrich : « Juste un point par rapport aux DRM. Ce ne sont pas
les prestataires qui imposent les DRM, ce sont les éditeurs. Ce sont
problèmes d’édition, des demande qui viennent de la partie création de
la musique. (…) Les prestataires sont les intermédiaires entre ce que
les éditeurs acceptent et la distribution vers les gens qui
consomment. »

Remarques conclusives de la part du public :

« Je pense qu’on tout intérêt à tester tout azimut. » Il faut
également tenir compte des nouvelles façons d’écouter de la musique.
S’il y a une nouvelle offre en musique, il faut que l’on puisse
l’écouter soit par nous médiathèques, soit pas par nous, mais « l’essentiel c’est qu’il y ait une diversité culturelle. (…) Je pense
la médiathèque doit avoir un rôle de tester tous les usages et de les
faire se rencontrer. Certainement avec plus de services à distance. »

« J’étais venue dans cet atelier afin avoir une réponse par rapport à tout ce qui se passe sur Internet, dans le cadre d’un projet de
création de médiathèque le maire de notre collectivité a finalement
décidé de partir sur de nouveaux médias image et son, mais j’ai tout
de suite eu des remarques d’autres élus qui m’ont dit à quoi bon
mettre des documents sonores alors qu’on trouve tout sur Internet et
qu’il y a le piratage… donc vous aurez personne dans votre
médiathèque. Je dois vous dire que j’ai trouvé passionnant tout ce qui
a été dit, mais que je n’ai pas vraiment trouvé de réponse à ma
question. »

Réponse de Gilles Rettel : « Si on en avait une, on ne serait
peut-être pas là. »

Dernière remarque de la part de Laurence Languin (AIBM) : « Il est
impossible de trouver du Stockhausen sur Internet. (…) Vous ne pouvez
pas écouter ‘Stimmung’ sur Internet. » L’affirmation a suscité le
débat, mais le contraire reste à prouver.

Dernier tour de table avec les intervenants :

Yves Alix :

A la question : « Est-ce que le droit empêche la création ? » Yves Alix souhaitait répondre que « Le droit n’est pas là pour empêcher la création, il est là pour la protéger. C’est son objectif. La question devient pertinente au moment où l’on s’aperçoit que le droit ne protège plus le créateur, et ne protège plus les auxiliaires de la création. »

Julien Ulrich :

Au nom de VirginMega : »On va monter plus de 40 000 références classiques prochainement. Du côté des labels nous allons avoir de plus en plus de références qui ne sont plus disponibles en CD. Nos approches ne sont ni incompatibles, ni antinomiques, ni concurrentes. Je pense que ça doit être la même chose au niveau des bibliothèques. Je ne pense pas que la vocation des bibliothèques ce soit de diffuser que du contenu « underground », en tout cas non commercial. Il faut aussi un accès aux ‘tubes’. Il y a de la place pour tout le monde. Des gens comme moi ne sont pas antinomiques avec ce que fait M. Dana Hilliot « 

Dana Hilliot :

« J’inviterai les médiathèques à saisir ce semblant de chaos pour rencontrer de manière plus approfondie les acteurs de la musique au niveau local. Ceux qui créent, ceux qui enregistrent, les petits labels… etc.

Gilles Rettel :

« Soyez actifs ! N’attendez pas que ça se fasse, sinon ça se passera sans vous. Il y a des secteurs où se met en place une espèce de concurrence entre des missions qui sont remplies pour l’instant par des médiathèques, mais qui pourraient être remplies par des acteurs commerciaux ou non. Si vous ne faites rien, si vous n’êtres pas actifs, si vous n’expérimentez pas, le train passera sans vous. »

Conclusion générale

S’interroger sur la place de la musique dans les bibliothèques, s’est une façon de se sommer à être soi-même, en tant que professionnel, mais aussi en tant que service public.
Cela peut créer des remous au sein de la profession, mais cela nous donne aussi une occasion d’affirmer notre singularité.

Les débats ci-dessous ont souligné de nombreux points parmi lesquels je choisis ces quelques interrogations :

- La formation ? On imagine très bien que si les bibliothèques musicales doivent jouer un rôle dans le futur, il faudrait qu’elles soient clairement identifiées comme étant un des lieux de ressources afin de s’orienter, se documenter, se former, se divertir en matière de musique. Bref affirmer dans ce domaine une compétence qui soit clairement reconnue par le public.

- L’espace public ? Que ce soit à travers notre rôle de médiation, ou par le biais de nos implantations multiples, nous pouvons jouer un rôle sans équivalent. Proximité, connaissance du terrain, des publics, échange direct, accompagnement… etc.

- Fait de la diversité ? L’un des enjeux qui s’offre à nous est de continuer à affirmer, à travers nos collections, une diversité des esthétiques et des approches musicales. Dans toute l’étendue qui s’étale des musiques de divertissement aux musiques les plus expérimentales.

- Mutualiser des ressources et les moyens ? Toute l’étendue de l’information musicale proposée par Internet, son caractère extrêmement fluctuant ou volatile, rend indispensable une coopération professionnelle de tous les instants. Ne cherchons pas à entre en concurrence avec une offre disponible sur Internet, mais construisons une offre alternative. Ne nous lançons pas dans des projets de numérisation redondants (au sens où ils doubleraient une offre déjà disponible sur Internet ou dans une autre bibliothèque) en commettant les mêmes erreurs que par le passé en matière de catalogage partagé ou de récupération de notices.

- Les acteurs locaux ? Un des intérêts du débat est d’avoir remis au premier plan les échanges que nous pouvions avoir au niveau local avec les acteurs de la chaîne musicale.

Une de nos collègues s’inquiétait de voir certains de ses élus interroger la pertinence de son projet de médiathèque à l’aune des pratiques de téléchargement de musique sur Internet. Les élus validant au passage certaines pratiques considérées comme illicites. Cette analyse révèle toute l’influence que peut exercer la vie privée sur la vie publique. Rappelons que les bibliothèques offrent à leurs usagers la liberté d’être eux-mêmes, cela se traduit entre autre par une liberté de choix, les possibilités d’autoformation, l’égalité des moyens d’accès à l’information musicale, les d’échanges publics, activités qui ne relèvent pas du ‘piratage’ ou de la sphère privée avec tout ce qu’elle peut avoir d’arbitraire.
Nous aurions du mal à nous reconnaître dans une société d’avenir où les individus seraient captifs de leurs écrans d’ordinateurs ou de leurs téléphones mobiles. Si les nouvelles technologies ont su nous libérer des contraintes d’emplois du temps et des limites de l’espace, disposons également de cette autre liberté qu’elles nous offrent : le pouvoir de les mettre en veille.

Avons-nous répondu à la question initiale : « La musique a-t-elle encore sa place dans les médiathèques ? ». Si l’on peut constater avec Yves Alix, que « la loi s’épuise toujours à vouloir rattraper la pratique sociale », il nous faudra faire attention à ne pas faire de même en courant après les nouvelles technologies. Difficile équilibre à trouver entre expérimentation et affirmation de nos missions.
Notre activité peut s’adosser fermement sur le maillage notre implantation géographique auprès de populations, sur la valorisation de nos compétences dans le domaine de la musique, sur le caractère politique de l’espace public ou sur le caractère symbolique de l’échange direct avec le public.
Soyons lucides nous ne disposons pas tous de collections patrimoniales susceptibles d’être numérisées avec intérêt (Médiathèque musicale de Paris, BNF par ex.) nous n’avons pas toujours les ressources nécessaires pour produire notre propre patrimoine culturel (comme cela peut être me cas pour la Cité de la musique, ou encore pour les radios musicales qui rendent accessibles les émissions qu’elles produisent sous forme de podcast). Bref si nous ne voulons pas perdre la face, ou regarder le train passer en restant sur le quai de la gare, notre enjeu essentiel sera de mettre en commun nos ressources, nos capacités d’identification, d’organisation afin de les partager avec nos publics.

Je remercie ici les intervenants qui nous ont permis d’affiner notre analyse de la situation, le public pour la pertinence de ses questions et son sens du débat.

Arsène Ott